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NOTICE

celle-ci la distinction, qu’il adoptera lui-même et qui deviendra classique, des quatre vertus : justice, tempérance, courage et sagesse ou prudence : c’est en effet cette distribution qui commande tout le morceau[1]. Or, en quoi l’Amour est-il juste ? Être injuste, dit Agathon, c’est faire violence à autrui, être juste c’est le contraire ; mais l’amour ne cède pas à la violence et il ne s’impose pas non plus par la violence ; donc l’injustice n’a pas de prise sur lui et la justice est dans sa nature. Cette argutie verbale est encore surpassée par l’explication de la tempérance de l’Amour : la tempérance consistant à dominer ses passions, et l’amour étant supérieur à toutes les passions, l’amour doit être tempérant ! La raison pour laquelle il est courageux n’est pas moins bizarre : puisque le dieu brave par excellence, Arès, a été vaincu par l’amour d’Aphrodite, c’est qu’Amour est plus brave que lui ; il est donc la bravoure même. Comment prouve-t-on enfin que l’Amour est sage, ou savant, c’est-à-dire qu’il sait produire des œuvres ? D’abord il est poète, étant une de sources les plus abondantes de la production poétique ; ensuite, c’est en lui que réside tout l’art de la génération ; enfin il n’y a pas d’art, pas de technique intelligente, qui ne soit due au désir et à l’amour de quelque bien. — Il est possible que Platon ait voulu forcer la note et qu’il soit responsable de l’excès même de ces calembredaines. Mais une bonne caricature n’est pas une complète altération du réel : on se souviendra qu’Aristophane n’a pas vu la poésie d’Agathon sous un jour très différent, et aussi qu’une pareille fantasmagorie verbale apparaît en plus d’un passage, par exemple, de l’Éloge d’Hélène de Gorgias. Au reste, peut-être est-ce précisément cette union de la déformation caricaturale et de la vérité du portrait que Platon a voulu suggérer, en faisant dire à Agathon, à la fin de son discours (197 e), que celui-ci est un mélange, assez savamment dosé, de sérieux et de badinage.

  1. Ce n’est pas à ceci toutefois que se rapporte une assertion d’Aristote dans la Politique (I 13, 1260 a, 27 sq.) : la méthode, dit-il, qui consiste à énumérer les vertus particulières à chaque état ou condition, comme fait Gorgias, est supérieure à celle de Socrate qui donne de la vertu une définition générale. L’allusion concerne un passage bien connu de Ménon, 71 c-72 a.