Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 2 (éd. Robin).djvu/77

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NOTICE

ne s’agit donc plus de surpasser certaines personnes, au jugement de certaines autres ; il s’agit de se rapprocher réellement de la vérité, autant qu’on le pourra.

Le Ménexène, qui est probablement un peu antérieur au Banquet, contient (234 b-235 d) un développement étroitement apparenté à celui-ci : il s’agit également d’un éloge, l’éloge funèbre des soldats morts à la guerre, et, selon toute probabilité, c’est également Gorgias qui est visé, dans son Épitaphios. Or, par qui et comment sont prononcés des éloges de cette sorte ? Non pas sans apprêt et avec une naïveté sincère, ainsi que, dans notre dialogue, Socrate entend s’exprimer, mais par de savants personnages qui, de longue date, ont préparé leur discours : dans l’éloge, leur habileté est telle que, tandis que, sur la chose dont ils parlent, ils disent ce qui en est tout comme le contraire, ils ensorcellent notre âme par les magnifiques variations que là-dessus ils brodent en mots. Le son de leurs airs de flûte, ajoute Socrate, a pénétré si profondément dans mes oreilles, qu’il me faut trois ou quatre jours au moins pour reprendre mes esprits et savoir où je suis : jusque-là, c’est tout juste si je ne me crois pas dans les Îles des Bienheureux ! Ces gens-là ont d’ailleurs des discours tout prêts, si bien que leurs improvisations n’en ont que l’apparence (cf. p. l). — Mais la comparaison de ces deux passages peut suggérer encore un autre rapprochement instructif. Des discours ainsi conçus sont ceux dans lesquels, suivant l’expression du Phèdre (260 a-c), on loue sous le nom de cheval l’ombre de l’âne, en prétextant que la persuasion naît de la vraisemblance, et non pas de la vérité. Tout d’abord, ajouterais-je, on pourra les croire vrais, mais ensuite on reconnaîtra qu’ils sont faux et qu’il n’y a en eux rien de sain ni de solide. Lorsqu’on aura été ainsi plusieurs fois déçu et trompé, on prendra en haine les discours en général ; on deviendra misologue, comme on devient misanthrope, faute d’avoir appris à en juger et à en user comme il convient, ni avec les discours, ni avec les hommes. Les responsables là-dedans, ce sont aussi les controversistes professionnels, ces hommes dont le talent est, sur un même sujet, de savoir parler pour et contre : « Vois ces gens-là en train de discuter quelque problème : le sens vrai de ce dont on parle, ils n’en ont cure ; mais faire adopter par les assistants leurs thèses personnelles, voilà ce qu’ils ont à cœur. » Ainsi