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LE BANQUET

même quelque chose de contingent, car il peut arriver qu’on n’aime pas son père ou sa mère, tandis qu’il y a nécessairement amour de ce que précisément on aime (voir la formule de 200 a 3) ; en second lieu, c’est l’objet lui-même qui devient alors contingent, car il n’y a pas de raison pour que l’objet de l’amour soit ceci plutôt que cela, tandis que nécessairement l’objet de l’amour est toujours ce qui est aimé, indéterminément. Si la question était en effet de savoir si l’amour est amour d’un père ou d’une mère, plutôt que d’un cheval ou d’une statue, ce serait une question risible[1]. En réalité, la question est du même genre que celles-ci : « Père est-il père absolument, sans être père d’enfants ? » « Frère est-il frère absolument, sans l’être de frères ou sœurs ? » Ces exemples mettent en pleine lumière, et le rapport de corrélation, et la généralité de ce rapport dans le cadre de la corrélation envisagée. Ainsi donc l’Amour, est amour de quelque chose : c’est un relatif, et on ne peut, comme on l’a fait jusqu’à présent, parler de l’Amour absolument, c’est-à-dire indépendamment de sa relation à ce dont, quoi que ce soit, il est précisément amour (199 c-e ; cf. 200 e). — Voilà le premier point : une première équivoque a été dissipée, et tout le reste en découle.

Ce point acquis, nous passons à un autre qui en dépend et qui, pour la suite de la discussion, est d’une importance peut-être encore plus manifeste. — L’amour désire-t-il, ou

  1. Pour Zeller et pour Hug, elle le serait si, à cause du sens patronymique du génitif grec, on comprenait qu’on demande de quel père et de quelle mère l’Amour est fils ; car alors il serait aussi ridicule de dire « Amour est-il Amour, fils de… ? » que de dire « Socrate est-il Socrate, fils de… ? » ; ce redoublement du sujet Amour, du sujet Socrate est absurde, tandis qu’il est tout naturel si le génitif est un génitif d’objet. — Mais avec cette interprétation la question serait risible dans sa forme seulement ; il n’y aurait en effet dans le fond rien de risible à demander si l’Amour a père et mère, et quels ils sont : Phèdre a posé la question (178 b), et elle sera reprise par Diotime-Socrate (203 bc). Or les exemples qui suivent semblent indiquer qu’elle est risible dans son fond même, en tant que, sans le voir, elle laisse échapper l’essentiel de ce qui est précisément en question. — Quant à l’hypothèse de R. G. Bury, que l’absurdité est, le mot érôs signifiant proprement l’amour sexuel, de demander si c’est ainsi qu’on aime un père ou une mère, elle me paraît entièrement inacceptable.