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NOTICE

non, l’objet quelconque dont il est amour ? Oui. Le désire-t-il en tant qu’il le possède et pendant qu’il le possède ? Forcément non. Et il n’y a pas là un simple postulat qu’on puisse, comme voudrait le faire Agathon, concéder par grâce à celui qui interroge : c’est une nécessité. Donc, si l’amour désire ce dont il est amour, c’est que cela lui manque ; au contraire, s’il l’a, il ne le désire pas, comme le montrent assez des exemples empruntés à l’expérience commune (200 ab ; cf. e). Peut-être objectera-t-on cependant, pour infirmer la nécessité dont il s’agit, que cette même expérience témoigne qu’on désire souvent ce que l’on a. C’est que le langage de l’expérience est ambigu, et c’est cette ambiguïté qui a empêché Agathon d’apercevoir du premier coup la nécessité du principe. Elle doit donc être, à son tour, dissipée (cf. p. 49, n. 1). Or celui qui possède un bien ne peut pas faire qu’il ne l’ait pas dans le moment où il le possède : comment alors pourrait-il le désirer ? Ce qu’il désire réellement, c’est posséder encore dans l’avenir le bien qu’il a dans le présent ; autrement dit, il souhaite que, par la suite, son présent lui soit encore présent. Mais, tandis que son présent s’impose en quelque sorte à lui, il n’est pas maître de son avenir. Donc, en désirant rester ce qu’il est et garder ce qu’il a, il désire quelque chose dont il est dépourvu. Ainsi, bien loin d’infirmer le principe, ce témoignage de l’expérience le confirme au contraire (200 b-e).

Platon a de la sorte, par une analyse serrée qui épluche le langage en vue de la clarté et de la distinction dans la pensée, établi deux principes sur la base d’un consentement vraiment libre, libre en tant qu’incapable de se refuser à l’évidente nécessité du vrai. Ces deux principes sont solidaires l’un de l’autre. Que ce soient, en effet, ceux de toute la théorie de l’Amour, on n’en peut douter, en considérant de quelle façon il les détache (200 e) avant d’en déduire les conséquences communes, qui seront ensuite progressivement approfondies. Tout à l’heure on considérait l’amour en relation à son objet, mais en général et indéterminément. Maintenant on va envisager l’objet déterminé qui lui a été attribué incidemment par Agathon (197 b), et dont Socrate lui demandait d’abord de faire provisoirement abstraction (200 ab, déb.) : il a admis en effet, comme chose évidente, que l’Amour a pour objet la beauté. Dès lors il va aussitôt se trouver en contradiction