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LE BANQUET

avec lui-même[1]. Si en effet l’Amour est amour de la beauté, il la désire, et, s’il la désire, c’est que, ainsi qu’Agathon l’a accordé sans faire de réserve pour ce point particulier (200 b, e), il doit en être dépourvu. Il a donc eu tort, de son propre aveu, de croire et de dire (195 a-196 b) que l’Amour est beau. — Bien plus, s’il est vrai que bon et beau soient des qualités qui se réciproquent, l’Amour, n’étant plus beau, ne sera pas davantage bon. Ainsi s’effondre d’un seul coup le fragile édifice qu’à la gloire des vertus de l’Amour avait élevé Agathon : est-ce donc à voiler tant de confusions et de contradictions que doit servir l’art de la parole ? Battu et malcontent, le rhéteur-poète s’en prend à son interlocuteur philosophe. En lui il ne veut voir qu’un controversiste par trop retors ; mais il se trompe : c’est à la vérité, dialectiquement établie, c’est-à-dire reconnue d’un commun accord, que l’art des vraisemblances, la rhétorique, est forcée de rendre les armes (201 a-c ; cf. p. 50, n. 4).


2o Socrate et Diotime
(201 d-207 a).

C’est alors que Socrate, pour ne pas envenimer au cœur de son hôte cette cruelle blessure d’amour-propre, se suppose lui-même mis en quelque sorte à la question (cf. l’expression de 201 e 2), au lieu et place d’Agathon, par Diotime, la prêtresse de Mantinée (sur celle-ci, voir p. XXII sqq.). Le subterfuge de cette substitution exigera, bien entendu, que le début de l’entretien de Diotime avec Socrate résume celui de Socrate avec Agathon. Mais voici bientôt une question qui va engager l’examen dans une voie décisive. — De ce que l’Amour n’est point beau, s’en-

  1. Le sens de la remarque de Socrate (201 a 7) sur la réponse d’Agathon est ambigu, mais à dessein, semble-t-il, et ironiquement (cf. p. 50, n. 2) : Agathon a raison à la fois de reconnaître qu’il s’est exprimé ainsi (sens manifeste), et de faire cette réponse qui va faire éclater la contradiction (sens dissimulé). Cette ambiguïté est parfaitement appropriée au ton que Socrate donne à sa conversation avec Agathon. Si pourtant, avec R. G. Bury, on répugne à l’admettre, on devra remplacer le présent λέγεις par l’imparfait ἔλεγες : « ton assertion (et non « ta réponse ») était parfaite ». Mais, bien que Socrate utilise lui-même souvent la formule d’Agathon (303 c, p. 55, n. 1), on admettra difficilement qu’il puisse ici la déclarer parfaitement exacte, puisque plus tard il en montrera toute l’insuffisance (206 b sqq.).