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NOTICE

suit-il qu’il soit nécessairement laid ? Entre ces deux extrêmes : savoir totalement, c’est-à-dire être capable de donner des raisons justificatives de ce qu’on affirme ou de ce qu’on nie, et ignorer totalement, il y a, selon l’expression du Phédon (89 e-90 b), un entredeux. Mais ici, au lieu de considérer cet entredeux universellement, Platon n’en considère qu’un seul cas et même sous un seul de ses aspects : l’opinion, le jugement qui se trouvent d’aventure être vrais, c’est-à-dire tels que le savoir les proférerait, mais dont on ignore pourtant la raison ou les raisons qui pourraient les justifier. Il néglige donc le jugement faux, l’opinion erronée, qui, elles aussi cependant, sont des intermédiaires entre la connaissance intégrale et l’absence intégrale de connaissance (cf. par ex. Sophiste, 263 b), et c’est en effet le vulgaire qui confond erreur et ignorance (cf. Théétète, 170 b). Mais on comprend qu’il les ait négligés ici. C’est justement parce que l’Amour, ainsi qu’il va le dire, peut, sans être absolument bon, n’être pas pour cela radicalement mauvais ; or c’est de la conception de l’Amour très beau et très bon que l’on est parti, à la suite d’Agathon-Socrate ; il est donc naturel de choisir un intermédiaire plus voisin de cet extrême que de l’extrême opposé. De toute façon, l’Amour est une nature mixte : le laid s’y mêle au beau et le mauvais au bon (201 e-203 b).

Comment accorder cela avec la croyance, universellement acceptée, que l’Amour est un grand dieu ? Ce sont les doléances de Phèdre (177 a-c) sur notre négligence à lui payer notre juste dette d’hommage, qui ont déterminé le programme du banquet. Chacun des cinq orateurs précédents s’est conformé à cette croyance, quitte à distinguer, comme Pausanias et Éryximaque, entre le vrai dieu et son image dénaturée. Et pourtant il y a lieu de soumettre une telle notion à un examen critique attentif ; de se demander si elle est acceptée par les juges compétents en même temps que par ceux qui n’y entendent rien ; d’examiner, en d’autres termes, si l’universalité qu’on lui attribue n’est pas tout apparente (cf. p. 52, n. 2). Or, quiconque aura accordé que, si l’Amour est amour du beau et du bon, ce sera seulement à condition d’être dépourvu du beau et du bon, s’interdira par là-même d’attribuer à l’Amour la béatitude, laquelle est cependant essentiellement inhérente à la nature divine.