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LE BANQUET

Donc l’Amour n’est pas un dieu. — Toutefois, par analogie avec les cas précédents, on ne le rejettera pas pour cela vers l’extrême qui s’oppose à « immortel », et on n’en fera pas un simple mortel : il est un être intermédiaire entre le dieu et l’homme, c’est-à-dire un démon, et grand entre tous ses pareils. Or, précisément, la fonction des démons est une fonction de synthèse : elle est en effet d’unir l’un à l’autre deux domaines séparés ; s’ils n’étaient pas là pour combler le vide entre ces deux domaines, le Tout n’aurait pas d’unité. C’est ainsi que, d’après le Timée (41 c), le Tout ne serait pas le Tout sans la fabrication, par les Sous-Démiurges, de vivants mortels, dans lesquels une semence d’âme immortelle et divine provient du Démiurge supérieur ; et cette sorte d’âme est elle-même un démon (90 a). En raison de leur rôle de médiateurs, les démons sont les interprètes et les messagers des dieux à l’égard des hommes, et des hommes à l’égard des dieux. Les prophètes et devins sont des hommes en qui il y a un démonisme, qui leur permet de pénétrer les secrets de la volonté des dieux ; de même les magiciens et sorciers dans leur action sur les forces de la nature ; de même encore les inventeurs de génie doivent leurs trouvailles à une révélation divine, mais c’est un démon qui la leur a transmise (202 b-203 a)[1].

Avec l’application à l’Amour de la théorie des démons, nous sommes dans le domaine du mythe : représentation du rapport qui existe entre les hommes et les dieux, représentation de la structure de l’univers (cf. p. xxiv). De ce mythe physico-théologique il est donc naturel que nous passions à un mythe théogonique, celui de la naissance de l’Amour : représentation de sa nature comme une synthèse des caractères de ses deux générateurs, synthèse à laquelle contribuent en outre l’occasion, les circonstances et le lieu même de leur rencontre. Le père de l’Amour est Expédient (Poros)[2], qui est lui-même le fils d’Invention ou Réflexion (Mètis). Sa mère est Pauvreté (Pénia). L’occasion

  1. Pour apprécier la portée de ce passage, il serait intéressant d’étudier, dans l’ensemble de l’œuvre de Platon, la doctrine mythique des démons, à la fois Génies et Anges. C’est ce que j’ai tenté de faire dans ma Théorie platonicienne de l’Amour, p. 131-138.
  2. Sur les raisons de traduire ainsi, voir p. 54, n. 4 et op. cit. p. 12 et n. 7.