Page:Platon - Sophiste ; Politique ; Philèbe ; Timée ; Critias (trad. Chambry), 1992.djvu/332

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Très bien répondu. Mais en réalité tu crois, si je ne me trompe, que nous devons toujours éprouver quelque changement, comme les philosophes le prétendent ; car tout se meut perpétuellement de bas en haut et de haut en bas[1].

PROTARQUE

C’est en effet ce qu’ils disent, et leurs raisons ne paraissent pas méprisables.

SOCRATE

Comment le seraient-elles, puisque eux-mêmes ne le sont pas ? Mais je veux esquiver cette question qui se jette à la traverse de notre discours. Voici par où je songe à fuir, en te priant de fuir avec moi.

PROTARQUE

Dis-moi par où.

SOCRATE

Disons à ces philosophes que nous leur accordons tout cela. Et toi, Protarque, réponds-moi. Est-ce que les êtres animés ont toujours conscience de tout ce qu’ils éprouvent, et nous apercevons-nous des accroissements que prend notre corps ou de quelque autre affection de même nature, ou est-ce tout le contraire ?

PROTARQUE

Tout le contraire, assurément ; car presque toutes les choses de ce genre nous échappent.

SOCRATE

Alors nous avons eu tort de dire tout à l’heure que les changements dans les deux sens occasionnent des peines et des plaisirs.

PROTARQUE

Sans doute.

SOCRATE

Nous ferions mieux et nous soulèverions moins d’objections en disant ceci.

PROTARQUE

Quoi ?

SOCRATE

Que les grands changements nous causent des douleurs et des plaisirs, mais que les médiocres et les petits ne nous causent aucune douleur ni plaisir.

{{Personnage|PROTAR

  1. Selon Héraclite, le monde alterne entre un mouvement ascendant et un mouvement descendant. Cf. Diogène Laërce, Héraclite, IX, 7 : « Entre contraires, il y a une lutte qui aboutit à la création : c’est ce qu’on appelle la guerre et la querelle ; l’autre, qui aboutit à l’embrasement, s’appelle la concorde et la paix. Le mouvement vers le haut et vers le bas crée le monde de la façon suivante : le feu en se condensant devient liquide, l’eau en se condensant se change en terre, et voilà pour le mouvement vers le bas. En sens inverse, d’autre part, la terre fond et se change en eau, et d’elle se forme tout le reste ; car il (Héraclite) rapporte presque tout à l’évaporation de la mer. Voilà donc comment se fait le mouvement vers le haut. » (Traduction Robert Genaille, Garnier-Flammarion).