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LIVRE QUATRIÈME.

selle avant la Matière est né informe, mais a reçu une forme en se tournant vers le principe qui l’a engendré et qui le nourrit en quelque sorte. Ce qui est né de la Nature n’est plus une forme de l’Âme, parce que ce n’est plus une espèce de vie ; c’est l’indétermination absolue (ἀοριστία παντελής). Les choses antérieures [à la Matière, savoir, la Puissance sensitive et la Nature] sont indéterminées sans doute, mais dans leur forme seulement ; elles ne sont pas absolument indéterminées ; elles ne sont indéterminées que sous le rapport de leur perfection. La Matière, au contraire, est absolument indéterminée. Quand elle arrive à être parfaite, elle devient le corps, en recevant la forme que comporte sa puissance[1] et qui est le réceptacle du principe qui l’a engendrée et qui la nourrit. C’est la seule trace qu’il y ait des choses de là-haut dans le corps, qui occupe le dernier rang parmi les choses d’ici-bas.

II. C’est à cette Âme [universelle] surtout que s’appliquent ces paroles de Platon : « L’âme en général prend soin de tout ce qui est inanimé[2]. » Les autres âmes [les âmes particulières] sont dans des conditions différentes. « L’âme fait le tour du ciel [ajoute Platon], en prenant successivement des formes diverses. » Ces formes sont la forme rationnelle, la forme sensitive, la forme végéta-

  1. Voy. t. I, p. 249.
  2. Voici dans son intégrité le passage de Platon cité par Plotin : « [fame en général prend soin de la nature inanimée (πᾶσα ἡ ψυχὴ παντὸς ἐπιμελεῖται τοῦ ἀψύχου), et fait le tour de l’univers sous diverses formes. Tant qu’elle est parfaite et conserve ses ailes dans toute leur force, elle plane dans la région éthérée et gouverne le monde entier ; mais, quand ses ailes tombent, elle est emportée çà et là, jusqu’à ce qu’elle s’attache à quelque chose de solide, où elle fait dès lors sa demeure. L’âme s’étant ainsi approprié un corps terrestre, et ce corps paraissant se mouvoir lui-même à cause de la force qu’elle lui communique, on appelle être vivant cet assemblage d’un corps et d’une âme, et on y ajoute le nom de mortel. » (Phèdre, p. 246 ; t. VI, p. 48 de la trad. de M. Cousin.)