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LIVRE SIXIÈME.


passion, quand cette passion est produite par la présence de la puissance qui en est le principe. En effet, ce n’est pas la puissance végétative qui végète, ni la puissance nutritive qui est nourrie ; en général, le principe qui produit un mouvement n’est point mû lui-même par le mouvement qu’il produit, mais ou il n’est mû en aucune façon, ou son mouvement et son action sont d’une tout autre nature[1]. Or l’essence d’une forme est d’agir, de produire par sa présence seule, comme si l’harmonie faisait par elle-même vibrer les cordes de la lyre[2]. Ainsi, la partie passive [sans pâtir elle-même] est la cause des passions, soit que les mouvements procèdent d’elle, c’est-à-dire de l’imagination sensible, soit qu’ils aient lieu sans imagination [distincte][3].

Il resterait à considérer si, l’opinion ayant pour origine un principe supérieur [l’âme], ce principe ne reste pas immobile parce qu’il est la forme de l’harmonie, tandis que la cause du mouvement remplit le rôle du musicien, et les parties ébranlées par la passion celui des cordes : car, ce n’est pas l’harmonie, mais la corde qui éprouve la passion ; et la corde ne peut vibrer, le musicien le voulût-il, si l’harmonie ne le prescrit.

V. Pourquoi donc faut-il chercher à rendre l’âme impassible par la philosophie, puisque, dès l’origine, elle n’éprouve pas de passions ? C’est que, quand une image est produite dans l’âme par la partie passive, il en résulte une passion et une agitation [dans le corps], et à cette agitation se lie l’image du mal qui est prévu par l’opinion. C’est cette passion que la raison commande d’anéantir et de ne jamais laisser se produire, parce que l’âme est malade quand cette passion se produit, et saine, quand elle ne se produit pas :

  1. Voy. ci-dessus, p. 132, note 1.
  2. Porphyre a développé cette comparaison dans ses Principes de la théorie des intelligibles, § VIII (t. I, p. LX).
  3. Proclus cite ce passage en ces termes : « Recte et Plotino dicente quod passiones omnes aut sensus sunt, aut non sine sensu. » {De Providentia, t. I, p. 25, éd. Cousin.)