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LIVRE SIXIÈME.


N’étant pas âme, la matière n’est ni intelligence, ni vie, ni raison [séminale], ni limite. Elle est une espèce d’infini (ἀπειρία)[1]. Elle n’est pas non plus une puissance [active][2] : car que produirait-elle ? Puisque la matière n’est aucune des choses dont nous venons de parler, elle ne saurait recevoir le nom d’être ; elle ne mérite que celui de non-être ; encore n’est-ce pas dans le sens où l’on dit que le mouvement, le repos ne sont pas l’être[3] ; la matière est véritablement le non-être. Elle est une image et un fantôme de l’étendue, une aspiration à l’existence (ὑποστάσεως ἔφεσις). Si elle persévère, ce n’est pas dans le repos, [c’est dans le changement]. Elle est invisible par elle-même, elle échappe à qui veut la voir. Elle est présente quand on ne la regarde pas, elle échappe à l’œil qui la cherche. Elle paraît toujours renfermer en elle les contraires : le grand et le petit, le plus et le moins, le défaut et l’excès[4]. C’est un fantôme également incapable de demeurer et de fuir : car la matière n’a même pas la force de fuir [la forme], parce qu’elle n’a reçu aucune force de l’Intelligence, et qu’elle est le manque de tout être. Par conséquent, ellement dans tout ce qu’elle paraît être : si on se la représente comme le grand, aussitôt elle apparaît comme le petit ; si on se la représente comme le plus, il faut reconnaître qu’elle est le moins. Son être, quand on cherche à le concevoir, apparaît comme le non-être ; c’est une ombre fugitive comme les choses qui sont en elle, et

    matière se trouve dans les écrits de S. Augustin : « Nonne tu, Domine, docuisti me, quod priusquam istam informem materiam formares atque distingueres, non erat aliquid, non color, non figura, non corpus, non spiritus ? non tamen omnino nihil ; erat quædam informitas sine ulla specie. » Confessiones, XII, 3.)

  1. Voy. Enn. II, liv. IV, § 15 ; t. I, p. 219-221.
  2. La matière n’est pas la puissance de produire, comme l’âme ; elle est seulement la puissance de devenir toutes choses. Voy. Enn. II, liv. V, § 3-5 ; t. I, p. 229-234.
  3. Le mouvement et le repos sont des Genres de l’être. Voy. Enn. VI, liv. II.
  4. Voy. t. I, p. 213, note 1.