Ennéades (trad. Bouillet)/VI/Livre 2

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Les Ennéades de Plotin,
Traduction de M. N. Bouillet
Ennéade VI, livre ii :
Des Genres de l’être, II | Notes



LIVRE DEUXIÈME.
DES GENRES DE L’ÊTRE, II.

I. Après avoir discuté la doctrine des dix catégories [d’Aristote], et parlé des [Stoïciens] qui ramènent toutes choses à un seul genre en les distribuant en quatre espèces, il nous reste à exposer notre propre opinion sur ce sujet, en nous efforçant toutefois de nous conformer à la doctrine de Platon[1].

Si nous devions poser l’être comme un, nous n’aurions pas à rechercher s’il n’y a qu’un seul genre pour toutes choses, si les genres ne peuvent se ramener tous à un seul, s’ils sont des principes, si les principes sont en même temps des genres, si les genres sont en même temps des principes, ou bien si tous les principes sont des genres, sans qu’on puisse dire réciproquement que tous les genres sont des principes, ou bien s’il faut distinguer entre eux et dire que quelques principes sont en même temps genres, quelques genres principes, ou enfin si tous les principes sont genres sans que tous les genres soient des principes, et réciproquement[2]. Mais, puisque nous n’admettons pas que l’être soit un, ce dont Platon et d’autres philosophes ont exposé les raisons[3], nous nous trouvons dans l’obligation de traiter toutes ces questions, et d’abord de dire combien nous reconnaissons de genres d’êtres, et pourquoi nous nous arrêtons à ce nombre.

Traitant de l’être ou des êtres, nous devons avant tout bien déterminer ce que nous entendons par l’être, dont nous nous occupons en ce moment, et le distinguer de ce que d’autres appellent l’être, mais que nous au contraire nous appelons ce qui devient, ce qui n’est jamais véritablement être. Et encore faut-il bien comprendre qu’en faisant cette distinction, nous ne prétendons pas diviser un genre en espèces de même nature ; ce ne peut être là ce que Platon a voulu faire[4] : car il serait ridicule de réunir dans un même genre l’être et le non-être, Socrate, par exemple, et l’image de Socrate. La division que nous établissons ici ne consiste donc qu’à séparer des choses essentiellement différentes, qu’à expliquer que l’être apparent n’est pas l’être véritable, en démontrant que l’être véritable a une tout autre nature. Pour bien préciser cette nature, il faut ajouter à l’idée d’être celle d’éternité (ἀεί (aei)), et faire voir ainsi quel être a une nature telle qu’elle ne saurait jamais tromper. C’est de l’être ainsi conçu [c’est-à-dire de l’être intelligible] que nous allons traiter, en admettant qu’il n’est pas un. Ensuite [dans le livre III], nous parlerons de la génération, de ce qui devient et du monde sensible.

II. Puis donc que l’être n’est pas un, nous admettons que la conséquence est qu’il y a un nombre d’êtres déterminé ou infini. Dire en effet que l’être n’est pas un, n’est-ce pas dire qu’il est à la fois un et multiple, qu’il est une unité variée qui embrasse une multitude ? Or, il est nécessaire ou que l’un ainsi conçu soit un en tant que formant un seul genre, ayant pour espèces les êtres par lesquels il est à la fois un et multiple ; ou qu’il y ait plusieurs genres, mais que tous ces genres se rangent sous un seul ; ou bien qu’il y ait encore plusieurs genres, mais qui ne se subordonnent pas les uns aux autres et dont chacun, indépendant des autres, contienne ce qui est au-dessous de lui, soit des genres moins étendus, soit des espèces après lesquelles il n’y a plus que des individus ; en sorte que toutes ces choses concourent à constituer une seule nature, et forment par leur ensemble la substance du monde intelligible, que nous appelons l’être.

S’il en est ainsi, les divisions que nous établissons ne sont plus seulement des genres, elles sont en même temps les principes mêmes de l’être : elles sont des genres, parce qu’elles contiennent des genres moins étendus, et au-dessous de ces genres des espèces, puis des individus ; elles sont aussi des principes, puisque l’être se compose d’éléments multiples et que ces éléments constituent la totalité de l’être. Si l’on admettait seulement que l’être se compose de plusieurs éléments et que par leur concours ces éléments constituent le tout, sans ajouter qu’ils ont au-dessous d’eux certaines espèces, on aurait encore il est vrai des principes, mais ce ne seraient plus des genres : c’est ainsi que quand on dit que le monde sensible se compose de quatre éléments, du feu et des autres, on a bien dans ces éléments des principes, mais nullement des genres, à moins qu’on ne leur donne ce nom seulement par homonymie.

Admettant donc qu’il existe certains genres, qui sont en même temps des principes, nous avons encore à rechercher s’ils doivent être conçus de telle sorte que ces genres, avec les choses que contient chacun d’eux, se mélangent, se confondent et forment le tout par leur ensemble. S’il en était ainsi, les genres n’existeraient qu’en puissance et nullement en acte ; ils n’auraient plus chacun quelque chose de propre. — Ou bien, laissant les genres subsister, pourra-t-on ne mélanger que les individus ? Que seront donc alors les genres en eux-mêmes ? Subsisteront-ils par eux-mêmes et resteront-ils purs, sans que les choses qui seront mêlées les détruisent ? Comment cela aura-t-il lieu ? Mais nous traiterons ces questions plus tard.

Maintenant, puisque nous ayons reconnu qu’il existe des genres qui sont en outre les principes de l’essence, qu’il y a à un autre point de vue des principes [ou éléments] et des composés, il faut que nous disions d’abord par rapport à quoi nous constituons les genres comme genres, comment nous les distinguons les uns des autres, au lieu de les réduire à un seul (comme s’ils étaient réunis par hasard], quoiqu’il semble plus raisonnable de les réduire à un seul. On pourrait les réduire ainsi s’il était possible que toutes choses fussent des espèces de l’être, que tous les individus fussent contenus dans ces espèces et qu’il n’y eût rien en dehors d’elles. Mais une pareille supposition détruit les espèces (car alors les espèces ne seraient plus des espèces), et dès ce moment il n’y aurait plus lieu de réduire la pluralité à l’unité, mais tout ne ferait qu’un ; en sorte que, toutes choses appartenant à cet un, aucun autre être n’existerait en tant qu’autre hors de l’un. Comment en effet l’un serait-il devenu multiple et aurait-il pu engendrer les espèces s’il n’existait rien d’autre que lui ? Car il ne serait pas multiple s’il n’y avait quelque chose pour le diviser, comme une grandeur ; or ce qui divise est autre que ce qui est divisé. S’il se divise lui-même ou se partage, c’est qu’il était déjà avant la division susceptible d’être divisé[5].

Il faut donc, pour cette raison et pour plusieurs autres, se garder de reconnaître un seul genre[6] : car il serait impossible d’appliquer à tout les dénominations d’être et d’essence. S’il y a des objets fort divers qu’on appelle êtres, ce n’est que par accident, comme si par exemple on faisait du blanc une substance : car on ne donne pas le nom de substance au blanc considéré seul[7].

III. Nous disons donc qu’il existe plusieurs genres, et que cette pluralité n’est pas accidentelle. Ces divers genres ne dépendent-ils pas de l’Un ? Sans doute. Mais s’ils dépendent de l’Un, et que l’Un ne soit pas quelque chose qui s’affirme de chacun d’eux considéré dans son essence, alors rien n’empêche que chacun d’eux, n’ayant rien de conforme aux autres, ne constitue un genre à part. — Est-ce que l’Un, existant ainsi en dehors des genres qui naissent de lui, n’est pas leur cause sans être affirmé cependant des autres êtres considérés dans leur essence ? Sans doute : l’Un est en dehors des autres êtres. Bien plus, il est au-dessus d’eux, de telle sorte qu’il n’est pas compté au nombre des genres : car c’est par lui qu’existent les autres êtres, lesquels sont égaux les uns aux autres en tant que genres.

Mais, pourra-t-on demander alors, de quelle nature est cet Un qu’on ne compte pas au nombre des genres ? Ce n’est pas ce que nous avons à examiner dans ce moment : nous considérons les êtres, et non Celui qui est au-dessus de l’être. Laissons donc l’Un absolu, et cherchons ce qu’est l’Un que l’on compte au nombre des genres.

D’abord [en considérant l’Un à ce point de vue], on s’étonnera de voir la cause additionnée avec les choses causées. Il serait déraisonnable en effet de faire, entrer dans un même genre les choses supérieures et les inférieures. Si cependant, en additionnant l’Un avec les êtres dont il est la cause, on fait de lui un genre auquel les autres êtres soient subordonnés et dont ils diffèrent, si en outre on n’affirme point l’Un des autres êtres soit comme genre, soit à quelque autre titre, il est encore nécessaire que les genres qui possèdent l’être aient sous eux des espèces : car, par exemple, si en te mouvant tu produis la marche, on ne peut faire de la marche un genre qui te soit subordonné ; mais s’il n’existait au-dessus de la marche rien autre chose qui pût par rapport à elle remplir le rôle de genre, et qu’il existât cependant des choses au-dessous d’elle, la marche serait par rapport à celles-ci un genre des êtres.

Peut-être, au lieu de dire que l’Un est la cause des autres choses, faudrait-il admettre que ces choses sont comme des parties et des éléments de l’Un, et que toutes choses forment une substance unique dans laquelle notre pensée seule établit des divisions ; de sorte qu’en vertu de son admirable puissance cette substance soit l’Unité distribuée en toutes choses, paraissant et devenant multiple, comme si elle était en mouvement et que par l’effet de la fécondité de sa nature l’Un cessât d’être un. En énonçant successivement les parties d’une telle substance, nous accorderions à chacune d’elles une existence à part, ignorant que nous n’avons pas vu l’ensemble. Mais après avoir ainsi séparé les parties, nous les rapprocherions bientôt, ne pouvant retenir longtemps isolés des éléments qui tendent à se réunir ; c’est pourquoi nous reviendrions à en faire un tout ; nous les laisserions redevenir unité, ou plutôt être unité. Du reste, cela sera plus facile à comprendre quand nous saurons ce que sont les êtres et combien il y a de genres d’êtres : car il nous sera possible alors de concevoir leur mode d’existence. Et comme, en ces matières, il ne faut pas se borner à des négations, mais viser à la connaissance positive et à la pleine intelligence du sujet qu’on traite, nous allons entreprendre cette recherche.

IV. Si, nous occupant de ce monde sensible, nous voulions déterminer quelle est la nature des corps, ne commencerions-nous pas par en étudier quelque partie, une pierre par exemple ? Nous y distinguerions la substance, puis la quantité, comme sa dimension, la qualité, comme sa couleur, et, après avoir retrouvé dans les autres corps ces mêmes éléments, nous dirions que la nature corporelle a pour éléments la substance, la quantité, la qualité, mais que ces trois choses coexistent, et que, bien que la pensée les sépare, toutes les trois ne font qu’un seul et même corps. Et si nous reconnaissions en outre que le mouvement est propre à cette même substance, ne l’ajouterions-nous pas aux trois éléments déjà reconnus ? Ces quatre éléments ne feraient encore qu’un, et le corps, bien qu’un, serait constitué, dans son essence et dans son unité, par la réunion de tous les quatre[8]. Il faut procéder de la même manière à l’égard du sujet dont nous traitons ici, c’est-à-dire de la substance intelligible, de ses genres et de ses principes. Seulement il faut, dans cette comparaison, faire abstraction de ce qui est propre aux corps et qu’on nomme génération, des perceptions des sens, enfin de l’étendue. Après avoir établi cette séparation et avoir ainsi distingué des choses essentiellement différentes, nous arriverons à concevoir la substance intelligible, qui possède l’être, l’existence véritable, et l’unité à un plus haut degré encore. À cette vue, on s’étonne que la substance qui est ainsi une puisse être à la fois une et multiple. À l’égard des corps, on s’accorde à reconnaître que la même chose est une et multiple : le corps peut en effet se diviser à l’infini ; la couleur, la figure, par exemple, sont en lui des propriétés bien différentes l’une de l’autre, puisqu’ici-bas elles sont séparées. Mais à l’égard de l’âme, si on la conçoit comme une, sans étendue, sans grandeur, absolument simple, ainsi que cela apparaît à la première vue, comment croire que l’âme elle-même puisse après cela se trouver multiple ? On devait d’autant plus penser arriver ici à l’unité, qu’après avoir divisé l’animal en corps et en âme et avoir démontré que le corps est multiforme, composé, divers, on pouvait compter trouver au contraire l’âme simple et s’arrêter à cette conclusion, comme au terme de ses recherches. Après avoir ainsi considéré cette âme que nous avons prise comme un échantillon du monde intelligible, de même que le corps représente le monde sensible, examinons comment cette unité peut être multiple ; comment le multiple peut à son tour être unité, non un composé formé de parties séparables, mais une seule nature à la fois une et multiple. Car, nous l’avons déjà dit, c’est en partant de ce point et en le démontrant que nous établirons solidement la vérité au sujet des genres de l’être.

V. La première considération qui se présente à notre esprit, c’est que chaque corps soit d’animal soit de plante est multiple par les couleurs, les formes, les grandeurs, les espèces des parties, la diversité de leur position, et que toutes ces choses cependant proviennent de l’unité, soit de l’Un absolument simple, soit de l’habitude de l’unité universelle, soit d’un principe qui ait plus d’unité, par conséquent plus d’être que les choses qu’il produit, parce que, plus on s’éloigne de l’unité, plus on s’éloigne aussi de l’être. Le principe qui forme les corps doit donc être un sans être absolument un ni identique à l’Un ; sinon, il ne produirait pas une pluralité qui fut aussi éloignée de l’unité : reste qu’il soit unité-pluralité (πλήθος ἕν (plêthos hen)). Or ce principe, c’est l’âme : elle est donc unité-pluralité. Et en quoi consiste cette pluralité ? Dans les raisons [séminales] des choses qui procèdent de l’âme. Les raisons ne sont pas autres que l’âme : car l’âme est elle-même raison, principe des raisons ; les raisons sont l’acte de l’âme qui agit selon son essence, et cette essence est la puissance des raisons[9]. L’âme est donc pluralité en même temps qu’unité : l’action qu’elle exerce sur les autres choses le démontre clairement. Mais qu’est l’âme si on la considère en dehors de toute action, si on examine en elle la partie qui ne travaille pas à former les corps[10] ? N’y trouvera-t-on pas encore pluralité de puissances ? Quant à l’être, il n’est personne qui le refuse à l’âme. Mais l’être qu’on lui accorde est-il celui qu’on accorde à une pierre ? Non sans doute. D’ailleurs, même dans l’être de la pierre, être et être pierre sont choses inséparables ; ainsi, être et être âme ne sont qu’une seule et même chose dans l’âme. Faut-il donc en elle regarder comme différents d’un côté l’être et de l’autre ce qui constitue l’essence, en sorte que ce soit la différence [propre à l’essence] qui en s’ajoutant à l’être fasse l’âme ? Non : l’âme est sans doute un être déterminé, non comme homme blanc, mais seulement comme essence particulière (ὥς τις οὐσία (hôs tis ousia)) : en d’autres termes, ce qu’elle a, elle l’a par son essence même[11].

VI. Mais ne peut-on pas dire que l’âme n’a point par son essence tout ce qu’elle a, en ce sens qu’on doit distinguer en elle d’un côté l’être et de l’autre telle manière d’être ? — Si l’âme a telle manière d’être, et que cette manière d’être lui vienne du dehors, le tout ne sera plus en effet l’essence de l’âme en tant qu’âme ; il ne sera l’essence de l’âme que partiellement et non en totalité. Ensuite, que sera l’être de l’âme sans les autres choses qui constituent son essence ? L’être sera-t-il pour l’âme le même que pour la pierre ? Ne faut-il pas plutôt admettre que cet être de l’âme tient à son essence même, qu’il en est comme la source et le principe, ou plutôt qu’il est tout ce qu’est l’âme, et par conséquent vie, enfin que dans l’âme l’être et la vie ne font qu’un ?

Dirons-nous que cette unité ressemble à celle d’une raison [d’une forme[12]] ? Non. La substance de l’âme est une ; mais cette unité n’exclut pas la dualité, la pluralité même : car elle admet tous les attributs essentiels de l’âme. Doit-on dire que l’âme est à la fois essence et vie, ou bien qu’elle possède la vie ? — Dire que l’âme possède la vie, ce serait dire que ce qui possède n’est pas par essence doué de vie, ou que la vie n’est pas dans son essence. Si l’on ne peut dire que l’une des deux possède l’autre, il faut reconnaître que les deux ne font qu’un, ou que l’âme est une et multiple, embrassant dans son unité tout ce qui apparaît en elle ; qu’elle est une en elle-même, mais multiple par rapport aux autres choses ; que, bien qu’étant une par elle-même, elle se fait elle-même multiple par son mouvement ; que, bien que formant un tout qui est un, elle cherche à se considérer dans sa multiplicité. C’est ainsi que l’Être ne reste pas un, parce que sa puissance embrasse toutes choses comme son existence. C’est la contemplation qui le fait apparaître comme multiple, parce qu’il doit être multiple pour penser. S’il n’apparaît que comme un, c’est qu’il n’a pas encore pensé et qu’il n’est encore réellement qu’un[13].

VII. Quelles sont donc les choses que l’on voit dans l’âme et quel en est le nombre ?

Puisque nous avons trouvé dans l’âme à la fois essence et vie, que l’essence et la vie sont ce qu’il y a de commun dans toute âme, que la vie réside dans l’intelligence, en reconnaissant qu’il y a [outre l’âme et son essence] l’intelligence et sa vie, nous poserons comme un genre ce qu’il y a de commun dans toute vie, savoir le mouvement ; par conséquent, l’essence et le mouvement, qui est la vie première, feront pour nous deux genres. Quoiqu’ils ne fassent qu’une seule chose [dans l’existence], ils sont séparés par la pensée qui considère comme n’étant pas un ce qui est un ; sinon, elle ne saurait rien séparer. D’ailleurs, tu peux dans les autres objets voir clairement l’être séparé du mouvement ou de la vie, quoique leur être ne soit pas l’être véritable, qu’il n’en soit que l’ombre et l’homonyme. De même que dans l’image d’un homme il manque plusieurs choses, entre autres la plus importante, la vie ; de même, dans les objets sensibles, l’être n’est qu’une ombre de l’être véritable, parce qu’il y manque le plus haut degré de l’être, degré qui dans l’archétype est la vie. Ne voyons-nous pas ainsi qu’il est facile de séparer d’un côté la vie d’avec l’être, de l’autre l’être d’avec la vie ? L’être est un genre et renferme plusieurs espèces : or le mouvement doit être placé non sous l’être, ni dans l’être, mais sur la même ligne que l’être ; s’il se trouve en lui, ce n’est pas qu’il l’ait pour sujet, c’est qu’il en est l’acte ; aucun des deux ne peut exister sans l’autre que par la pensée. Ces deux natures n’en font qu’une : car l’être n’est pas en puissance, mais en acte ; et si l’on conçoit ces deux genres séparés l’un de l’autre, on verra encore que le mouvement est dans l’être et que l’être est dans le mouvement. Dans l’unité de l’être, les deux éléments se supposent réciproquement quand on les considère chacun séparément ; mais la pensée affirme leur dualité, et montre que chacune des deux espèces est une unité double.

Puisque c’est dans la sphère de l’être qu’apparaît le mouvement, qu’il en manifeste la perfection bien loin d’en diviser l’essence, puisqu’enfin l’être doit persévérer toujours dans le mouvement en vertu de la nature que nous lui reconnaissons[14], il serait encore plus absurde de ne pas lui attribuer la stabilité (ou le repos[15], στάσις (stasis)) que de lui refuser le mouvement. La notion et la conception de stabilité sont encore plus en harmonie avec la nature de l’être que ne le sont celles de mouvement : car c’est dans l’être qu’on trouve ce qu’on appelle rester dans le même état, exister de la même manière, être uniforme. Admettons donc que la stabilité est un genre différent du mouvement, dont elle paraît être l’opposé.

Que la stabilité soit également différente de l’être, c’est ce que prouvent mille raisons. D’abord, si elle est identique à l’être, pourquoi l’est-elle plutôt que le mouvement, qui est la vie, l’acte de l’essence et de l’être même ? Puisque nous avons séparé le mouvement d’avec l’être, que nous avons dit qu’il lui est identique et qu’en même temps il en diffère, que l’être et le mouvement sont sous un point de vue deux choses, et une seule sous un autre, nous devons aussi séparer [par la pensée] la stabilité d’avec l’être sans l’en séparer [dans l’existence] : en l’en séparant par la pensée, nous en ferons un genre distinct[16]. En effet, si nous confondions ensemble dans une unité parfaite la stabilité et l’être, si nous ne leur reconnaissions aucune différence, nous serions également obligés d’identifier la stabilité avec le mouvement par l’intermédiaire de l’être : de cette manière, le mouvement et sa stabilité ne feraient plus qu’une seule et même chose[17].

VIII. Nous admettrons donc ces trois genres [l’Être, le Mouvement, la Stabilité] parce que l’Intelligence pense chacun d’eux séparément. En les pensant, elle les pose ; et, dès qu’elle les pense, ils existent[18]. En effet, si les choses dont l’existence suppose la matière n’ont pas leur existence dans l’Intelligence (sinon elles seraient immatérielles), tout au contraire, pour les choses immatérielles, être pensées, c’est exister. Contemple donc l’Intelligence pure, appliques-y ton regard intérieur au lieu de la chercher avec les yeux du corps : alors tu vois en elle le foyer de l’essence, où brille une lumière vigilante ; tu vois comment les êtres subsistent en elle unis et divisés ; tu vois en elle la vie permanente, la pensée qui s’applique non à l’avenir, mais au présent, qui le possède déjà, le possède toujours, qui enfin pense ce qui lui est intime et non ce qui lui est extérieur. L’Intelligence pense, voilà l’acte et le mouvement ; elle pense ce qui est en elle, voilà l’essence et l’être : car, en tant qu’existant l’Intelligence pense, elle se pense comme existant, et l’objet auquel elle applique sa pensée existe également. L’acte de l’Intelligence sur elle-même n’est pas l’Essence ; mais l’objet auquel il se rapporte, le principe dont il provient, c’est l’Être. L’Être est en effet l’objet de l’intuition, non l’intuition même ; celle-ci ne possède l’existence que parce qu’elle part de l’Être, et qu’elle se rapporte à lui. Or, comme l’Être est en acte et non en puissance, il réunit les deux termes [l’existence et l’intuition, l’objet et le sujet] et, sans les séparer, il fait que l’intuition soit lui-même, que lui-même soit l’intuition. Fondement inébranlable de toutes choses, soutien de leur existence, l’Être ne tient ce qu’il possède de rien d’étranger ; il l’a de lui et en lui. Il est à la fois le terme auquel aboutit la pensée parce qu’il est la Stabilité qui n’a pas eu de commencement, et le principe dont la pensée est née parce qu’il est la Stabilité qui n’est point née : car le Mouvement ne peut ni naître du mouvement ni aboutir au mouvement. L’idée (ἰδέα (idea)) aussi appartient au genre de la Stabilité parce qu’elle est le terme auquel aboutit l’Intelligence ; mais l’acte intellectuel par lequel elle est pensée constitue le Mouvement. Ainsi toutes ces choses ne font qu’un ; et le Mouvement, la Stabilité, les choses qui existent dans tous les êtres, constituent des genres. Chacun des êtres postérieurs à ces genres est à son tour aussi être, stabilité, mouvement.

Quand on voit ces trois choses en jetant un regard sur la nature de l’Être, quand on contemple l’Être par l’être qu’on a en soi, et les autres genres, le Mouvement et la Stabilité, par le mouvement et la stabilité qu’on a aussi en soi et qu’on met en harmonie avec ces intelligibles ; quand, unissant, confondant, mêlant les trois genres, on ne les discerne plus ; et que, peu après, on les divise, on les démêle, on les distingue, qu’on voit ainsi l’Être, le Mouvement, la Stabilité, trois choses dont chacune existe à part : n’arrive-t-il pas alors que, d’un côté, on les regarde comme différentes, qu’on les discerne par leur différence, qu’on reconnaît la différence dans l’Être en posant trois choses dont chacune existe à part ; et que, d’un autre côté, si on les considère dans leur relation avec l’unité et dans l’unité, si on les ramène toutes à être une chose une et identique, on voit l’identité naître, disons mieux, exister ? Il est donc nécessaire d’ajouter aux trois genres déjà reconnus l’identité et la différence ou bien le même et l’autre (ταὐτόν, θάτερον (tauton, thateron), deux genres nouveaux qui joints aux trois autres font en tout cinq genres pour toutes choses[19]. L’Identité et la Différence communiquent aussi leur caractère aux êtres inférieurs : car chacun d’eux a quelque chose d’identique et quelque chose de différent. C’est ainsi que l’Identité et la Différence, prises dans leur simplicité, sans que nul accident leur soit uni, se trouvent au nombre des genres.

Les cinq genres que nous reconnaissons sont premiers, parce que l’on ne peut rien affirmer d’eux dans la catégorie de l’essence (ἐν τῷ τί ἐστι (en tô ti esti)). On peut sans doute en affirmer l’être parce qu’ils sont des êtres ; mais on n’en affirme pas l’être comme genre, parce que l’essence n’est pas un être particulier. L’Être ne s’affirme pas non plus du Mouvement ni de la Stabilité, parce que ce ne sont pas là des espèces de l’Être. Il n’y a que les êtres particuliers qui puissent se rapporter à l’Être, les uns comme espèces de l’Être, les autres comme participant à l’existence. L’Être ne participe pas non plus de ces quatre genres comme s’ils étaient des genres supérieurs dans lesquels il serait compris lui-même : car la Stabilité, le Mouvement, l’Identité et la Différence ne dépassent pas la sphère de l’Être et ne lui sont pas antérieurs.

IX. Ces arguments et peut-être d’autres encore établissent bien que ce sont là des genres premiers ; mais comment prouver que ce sont les seuls et qu’il n’y en a pas d’autres à ajouter ? Pourquoi par exemple n’y ajouterait-on pas l’un, la quantité, la qualité, la relation et les autres catégories qu’ont admises certains philosophes[20] ?

Quant à l’un, si l’on entend par là l’Un absolu, ce à quoi il ne s’ajoute rien, ni âme, ni intelligence, ni quoi que ce soit, il ne peut s’affirmer d’aucune chose à titre d’attribut, et par conséquent il ne peut être un genre. Mais s’il s’agit de cette unité que nous attribuons à l’Être quand nous disons que l’Être est un, ce n’est plus là l’Un premier. Comment d’ailleurs l’Un absolu, qui n’admet en lui aucune différence, pourrait-il engendrer des espèces ? S’il ne le peut, il n’est pas un genre. Comment en effet diviser l’Un ? En le divisant, vous le multiplieriez : ainsi l’Un en soi serait multiple, et en aspirant à devenir genre, il s’anéantirait lui-même. En outre, pour diviser ce genre en espèces, il vous faudrait ajouter quelque chose à l’Un : car il n’y a pas en lui de différences comme il y en a dans l’Essence. L’intelligence peut bien admettre des différences dans l’Être, mais il ne saurait en être de même pour l’Un. Dès que vous ajoutez une seule différence, vous posez la dualité, et par conséquent vous détruisez l’Un : car partout l’addition d’une seule unité fait disparaître le nombre posé antérieurement.

On nous objectera que l’un qui est dans l’Être, dans le Mouvement et dans le reste est commun à toutes ces choses, et qu’on peut par conséquent identifier l’un avec l’être[21]. Nous répondrons alors que, de même qu’on n’a pas fait de l’être un genre des autres choses parce qu’elles n’étaient pas ce qu’est l’Être, mais qu’elles étaient appelées êtres dans un autre sens[22], de même ici l’un ne saurait être un attribut commun des autres choses, parce qu’il doit y avoir l’Un premier et l’un pris dans un autre sens. — Si l’on dit que l’on ne fait pas de l’un un genre de toutes choses, mais une chose qui existe en soi comme les autres, si ensuite on identifie l’un avec l’être ; alors, comme l’être a déjà été mis au nombre des genres, on ne fera qu’introduire inutilement un nom de plus[23]. Si l’on distingue l’un de l’être[24], on avoue que chacun d’eux a sa nature à part ; si l’on ajoute le mot quelque chose à celui d’un, on a un certain un ; si l’on n’ajoute rien, on revient à l’Un absolu, qui ne peut s’affirmer de rien. Si l’on persiste à identifier l’un avec l’être, nous remarquerons que ce n’est plus l’Un premier. — Mais qui empêche que cet un ne soit l’Un premier, en faisant abstraction de l’Un absolu, puisqu’en parlant de l’Être qui est au-dessous de l’Un absolu nous disons qu’il est l’Être premier ? — C’est que le principe antérieur à l’Être premier [c’est-à-dire l’Un premier et absolu] n’est pas être ; sinon, l’Être qui est au-dessous de lui ne serait plus l’Être premier ; ici au contraire, l’Un qui est au-dessus de cet un est l’Un absolu. D’ailleurs, cet un qu’on ne séparerait de l’être que par la pensée n’admettrait pas de différences. Ensuite, ou cet un que l’on suppose exister dans l’être sera une conséquence de l’existence de l’être ainsi que de tous les êtres, et par suite, il leur sera postérieur : mais le genre doit être antérieur ; ou bien il sera contemporain de l’Être et des autres choses : mais le genre ne peut être contemporain des choses dont il est le genre ; ou bien enfin il sera antérieur à l’Être : mais alors il ne sera plus par rapport à l’Être que son principe, et s’il est son principe, il n’est pas un genre qui le contienne. S’il n’est pas genre par rapport à l’être, il ne l’est pas davantage par rapport aux autres choses ; autrement, il faudrait dire de l’Être aussi qu’il est un genre qui embrasse tous les autres.

L’un considéré dans l’Être paraît se rapprocher tout à fait de l’Un absolu et pour ainsi dire coïncider avec lui : car l’Être, en tant qu’il tend à l’Un, a un être qui est un ; mais en tant qu’il est postérieur à l’Un, il est toutes les choses qu’il peut être, il devient multiple. Or, tant que l’Être demeure un et ne se divise pas, il ne saurait constituer un genre.

X. En quel sens donc chacun des éléments de l’Être peut-il être dit un ? En ce qu’il est quelque chose d’un sans être l’Un même : car ce qui est quelque chose d’un est déjà multiple ; chaque espèce n’est une que par homonymie ; en elle-même elle est multiple. C’est dans le même sens que, dans ce monde sensible, nous disons qu’une armée, un chœur sont quelque chose d’un ; or l’Un absolu ne se trouve pas dans ces choses ; on ne peut donc dire que l’un soit quelque chose de commun. L’un ne se trouve pas plus dans l’Être même ni dans les êtres individuels ; il n’est donc pas un genre. Quand un genre s’affirme d’une chose, on ne pourrait affirmer de cette même chose des propriétés contraires : or on peut dire que chacun des éléments de l’Être universel est un sous un rapport et on peut également en affirmer le contraire ; il en résulte qu’après avoir affirmé d’un être l’un en sa qualité de genre, on affirmerait ensuite au sujet du même être que l’un n’est pas un genre. L’un ne saurait donc être affirmé des genres premiers comme genre : car l’Être n’est pas plus un que multiple. Quant aux autres genres, aucun d’eux n’est un sans être multiple ; on pourrait bien moins encore affirmer l’un des genres du dernier ordre dont chacun est tout à fait multiple. Au reste, aucun genre pris dans sa totalité n’est un ; en sorte que si l’un était genre, il cesserait par cela même d’être un : car l’un n’est pas un nombre, et cependant en devenant genre il deviendrait nombre. Il y a bien dans les nombres ce qu’on appelle l’unité, mais si l’on veut en faire un genre, ce n’est plus l’Un proprement dit. Dans les nombres, l’unité n’est pas affirmée d’eux comme un genre : on dit de l’unité qu’elle se trouve dans les nombres, mais non qu’elle en est un genre ; de même, si l’un était parmi les êtres, il n’y serait pas comme genre de l’être, ni des autres choses, ni de toutes les choses. De même encore que le simple est le principe du composé sans être genre par rapport à lui (car alors il faudrait qu’il fût à la fois simple et composé), de même, si l’un est considéré comme principe[25], il ne pourra être genre par rapport aux choses qui sont au-dessous de lui ; il ne sera donc ni genre de l’Être, ni genre des autres choses.

Si l’on faisait de l’un un genre, il ne pourrait l’être que par rapport aux choses dont chacune est dite une[26], comme si, par exemple, on séparait de l’essence l’unité qui s’y trouve. L’un serait alors le genre de certaines choses : car de même que l’Être est genre, non par rapport à toutes choses, mais par rapport aux espèces qui possèdent l’être, de même l’un serait genre par rapport aux espèces qui possèdent l’unité. Or cela ne se peut : car il n’y a pas une différence entre une chose et une autre par rapport à l’unité, comme il y en a une par rapport à l’être. — Si l’on applique à l’un [dira-ton] les mêmes divisions qu’à l’être, et si l’être est un genre parce qu’il se divise et qu’il se manifeste le même dans une pluralité de choses, pourquoi l’un, qui nous apparaît dans autant de choses que l’être et qui se divise comme lui, ne serait-il pas aussi un genre ? — C’est que lorsqu’une chose se retrouve dans plusieurs êtres, il ne s’ensuit nullement qu’elle soit un genre, soit par rapport aux êtres dans lesquels elle se trouve, soit par rapport à d’autres ; ce qui est commun à plusieurs êtres ne constitue pas nécessairement un genre. Le point se trouve dans toutes les lignes : est-il un genre pour les lignes ou pour quoi que ce soit ? L’unité, nous l’avons déjà dit, se trouve dans tout nombre, et cependant elle n’est point un genre pour les nombres ni pour aucune autre chose. Pour former un genre, il faut que ce qui est commun et un dans plusieurs choses admette des différences spécifiques, constitue des espèces et s’affirme de l’essence. Mais quelles différences spécifiques trouve-t-on dans l’un ? Quelles espèces forme-t-il ? Si l’on répondait qu’il forme les mêmes espèces que l’être, c’est qu’alors il se confond avec l’être ; ce n’est plus [comme nous l’avons déjà dit] qu’un autre nom de l’être ; or l’être suffit.

XI. Il nous faut rechercher comment l’un subsiste dans l’être, comment ils se divisent tous deux, et en général comment se divisent les genres, et si ces deux divisions sont identiques ou différentes.

Pour résoudre ces questions, demandons-nous d’abord comment en général une chose quelconque est dite une et est une, ensuite si l’on dit dans le même sens que l’être est un et dans quel sens on le dit alors. Évidemment, un n’est pas le même pour tout : car on ne peut l’entendre de la même manière quand il s’agit des choses sensibles et quand il s’agit des choses intelligibles, pas plus que l’être n’est identique pour ces deux ordres de choses ou même pour les choses sensibles comparées entre elles. L’idée d’un n’est pas la même quand il s’agit d’un chœur, d’une armée, d’un vaisseau ou d’une maison ; elle l’est encore moins quand il s’agit d’une de ces choses et quand il s’agit d’objets continus. Et cependant, toutes choses imitent par leur unité le même archétype, les unes de plus loin, les autres de plus près ; l’Intelligence est assurément ce qui se rapproche le plus de l’Un absolu : car bien que déjà l’Âme soit une, l’Intelligence l’est beaucoup plus : elle est l’Être un.

Est-ce donc qu’en exprimant l’être de chaque chose nous exprimons en même temps l’unité qu’elle possède, de telle sorte qu’autant elle peut avoir d’être, autant elle a d’unité ? Ou bien cela a-t-il lieu sans qu’une chose ait toujours l’unité en proportion de l’être ? Oui : car il est possible qu’une chose ait moins d’unité sans avoir pour cela moins d’être : une armée, un chœur n’ont pas moins d’être qu’une maison et cependant on y trouve moins d’unité. L’un qui est dans chaque chose paraît donc aspirer au Bien, qui a plus d’unité[27] ; plus une chose se rapproche du Bien plus, en même temps elle est une ; c’est de là que dépend en elle le plus ou le moins d’unité. En effet, chaque être désire, non pas simplement exister, mais aussi jouir du bien. C’est pourquoi ce qui n’est pas un s’efforce autant qu’il se peut de le devenir, et les êtres qui par essence possèdent l’unité y tendent également par leur nature en voulant s’unir à eux-mêmes : car les êtres ne cherchent pas à s’écarter les uns des autres, mais ils tendent au contraire les uns vers les autres et vers eux-mêmes. C’est ainsi que toutes les âmes voudraient ne former qu’une seule âme, tout en conservant leur propre nature[28]. Partout, dans le monde sensible comme dans le monde intelligible, règne l’Un : c’est de lui que tout part, c’est vers lui que tout tend ; tous les êtres ont en lui leur principe et leur fin : car ce n’est qu’en lui qu’ils trouvent le bien ; ce n’est que par là que chaque être subsiste et occupe sa place dans l’univers ; une fois existant, chaque être ne saurait s’empêcher de tendre vers l’Un. Et cela n’a pas lieu seulement dans les êtres ; il en est de même dans les œuvres de l’art : chaque art cherche à conformer ses œuvres à l’unité autant qu’il se peut et autant que ses œuvres elles-mêmes le comportent. Mais ce qui y réussit le mieux, c’est l’Être même : car il est tout près de l’Un.

Il en résulte qu’en parlant des êtres autres que l’Être même, de l’homme, par exemple, nous disons simplement homme [sans y ajouter l’idée d’unité][29] ; si nous disons quelquefois un homme, c’est pour le distinguer de deux ; si nous employons encore dans un autre sens le mot un, c’est en y ajoutant quelque [quelqu’un][30]. Il n’en est pas de même pour l’Être : nous disons l’Être un en concevant l’Être et un comme formant un seul tout, et en posant l’Être comme un, nous faisons ressortir son étroite affinité avec le Bien. L’Être ainsi conçu devient un ; il a dans l’Un son principe et sa fin[31] ; cependant il n’est pas un comme l’Un même, mais plutôt d’une manière différente, en ce sens que l’unité de l’Être admet l’antériorité et la postériorité. Qu’est donc l’unité de l’Être ? Ne doit-elle pas être envisagée comme semblable dans toutes les parties de l’Être, comme quelque chose de commun à toutes ? [et par conséquent comme formant un genre] ? — Mais d’abord, le point est aussi quelque chose de commun à toutes les lignes, et cependant il n’est pas un genre ; dans les nombres, l’un est également quelque chose de commun à tous, et il n’est pas plus un genre. En effet, l’un qui se retrouve dans la monade, dans la dyade et dans les autres nombres, ne peut être confondu avec l’un en soi. Ensuite, rien n’empêche qu’il n’y ait dans l’Être des parties antérieures et d’autres postérieures, de simples et de composées [or il n’en peut être ainsi pour l’Un en soi]. Et lors même que l’unité que l’on retrouve dans toutes les parties de l’Être serait partout identique, par cela même qu’elle n’offrirait aucune différence, elle ne pourrait engendrer des espèces, par conséquent elle ne saurait être un genre.

XII. Nous admettons qu’en tendant vers l’Un tout tend vers le Bien. Mais comment se peut-il que, pour le nombre, qui est inanimé, le bien consiste aussi à être un[32] ? Et cette question peut se faire également au sujet de tous les autres êtres inanimés. Si l’on nous disait que de tels êtres ne possèdent pas l’existence, nous répondrions que nous traitons ici des êtres en tant que chacun d’eux est un. Si l’on nous demandait comment le point peut participer du bien, nous demanderions à notre tour s’il s’agit du point en soi, et alors nous répondrions que c’est la même question que pour les autres choses de la même espèce ; mais s’il s’agit du point considéré comme existant dans quelque objet, dans le cercle par exemple, nous dirons qu’alors pour lui le bien est le bien du cercle même ; que c’est là le but auquel il aspire, et qu’il y tend autant qu’il le peut par l’intermédiaire du cercle.

Mais comment se représenter de tels genres ? Ces genres sont-ils tous susceptibles d’être divisés, ou bien sont-ils tout entiers dans chacun des objets qu’ils comprennent, et alors comment l’un s’y trouve-t-il ? L’un s’y trouve comme genre, de même que le tout se trouve dans une pluralité. — L’un ne se trouve-t-il donc que dans les objets qui participent de lui ? Il se trouve non-seulement dans ces objets, mais encore en soi. Ce point sera d’ailleurs éclairci plus tard.

XIII. Maintenant, pourquoi ne mettons-nous pas la quantité au nombre des genres premiers ? Pourquoi n’y mettons-nous pas non plus la qualité[33] ?

La quantité n’est pas un genre premier comme les autres que nous avons admis, parce que les genres premiers coexistent avec l’être [ce qui n’a pas lieu pour la quantité]. En effet, le mouvement est inséparable de l’être : il en est l’acte, il en est la vie ; la stabilité est impliquée dans l’essence ; l’identité, la différence sont encore plus inséparables de l’être ; de sorte que toutes ces choses s’aperçoivent à la fois. Quant au nombre [qui est la quantité discrète], il est quelque chose de postérieur. Bien plus, le nombre est postérieur à la fois à ces genres et à lui-même : car les nombres se suivent les uns les autres ; le second dépend du premier et ainsi de suite ; les derniers sont contenus dans les premiers. On ne saurait donc mettre le nombre au rang des genres premiers. On peut même douter que la quantité puisse être genre à aucun titre. En effet, l’étendue [qui est la quantité continue] offre plus encore que le nombre les caractères de composition, de postériorité. Dans l’idée d’étendue il entre, avec le nombre, la ligne, ce qui fait deux éléments, et de plus la surface, ce qui fait trois[34]. Si donc c’est du nombre que la grandeur continue tient d’être une quantité, comment cette grandeur serait-elle un genre quand le nombre ne l’est pas ? D’un autre côté, dans les grandeurs comme dans les nombres, il y a antériorité et postériorité. Mais si les deux sortes de quantités ont cela de commun d’être des quantités, il faut rechercher ce que c’est que la quantité, et quand nous l’aurons trouvé, nous pourrons en faire un genre secondaire ; mais elle ne saurait prendre rang parmi les genres premiers. Et si la quantité est un genre sans être un des genres premiers, il nous reste à chercher auquel des genres soit premiers, soit inférieurs, il faut la ramener.

Il est évident que la quantité nous fait connaître le quantum d’une chose, nous permet de mesurer le quantum de chaque chose ; elle est elle-même un certain quantum. Or c’est là ce qu’on trouve de commun entre le nombre [qui est la grandeur discrète] et la grandeur continue[35]. Mais le nombre est antérieur, et la grandeur continue en procède ; le nombre consiste dans un certain mélange du mouvement et du repos ; la grandeur continue est un certain mouvement ou provient du mouvement : le mouvement la produit en s’avançant à l’infini, mais le repos l’arrête dans sa marche, le limite et crée l’unité. Au reste, nous expliquerons dans la suite la génération du nombre et de la grandeur, et plus encore leur mode d’existence et l’idée qu’on doit s’en faire[36]. Peut-être trouverons-nous que le nombre doit être placé dans les genres premiers, et la grandeur continue dans les genres postérieurs, en tant que composée ; que le nombre doit être rangé parmi les choses stables [en repos], et la grandeur parmi les choses en mouvement. Mais, encore une fois, nous aurons à traiter plus tard toutes ces questions.

XIV. Passons à la qualité. Pourquoi ne figure-t-elle pas non plus parmi les genres premiers ? — C’est qu’elle aussi leur est postérieure : elle vient en effet après l’essence. L’Essence première doit avoir pour conséquences ces choses [la quantité et la qualité][37], mais elle n’est ni constituée ni complétée par elles : autrement, elle serait postérieure à la qualité et à la quantité. Pour les essences composées, formées de plusieurs éléments, dans lesquelles il y a des nombres et des qualités, elles sont différenciées par ces divers éléments qui constituent alors des qualités, et en même temps elles ont entre elles quelque chose de commun. Mais pour les genres premiers, la distinction à établir ne se tire pas de ce qui n’est pas simple et du composé[38], mais du simple et de ce qui complète l’essence[39]. Remarquez que je ne dis pas ce qui complète une certaine essence : car s’il s’agissait d’une certaine essence, il n’y aurait rien de déraisonnable à admettre qu’une telle essence fût complétée par une qualité, puisque cette essence subsisterait déjà avant d’avoir la qualité et ne recevrait du dehors que la propriété d’être telle ou telle. L’Essence absolue doit au contraire posséder essentiellement tout ce qui la constitue.

Au reste, nous avons reconnu ailleurs[40] que ce qui est complément de l’essence n’est appelé qualité que par homonymie, que ce qui vient du dehors et après l’essence est proprement qualité ; que ce qui appartient en propre à l’essence en est l’acte, que ce qui vient après elle est passion [modification passive]. Nous ajoutons maintenant que ce qui se rapporte à une certaine essence ne peut à aucun titre être complément de l’essence. Il n’est besoin d’aucune addition d’essence à l’homme, en tant qu’homme, pour qu’il soit une essence. L’essence existe déjà dans une région supérieure avant qu’on descende à la différence spécifique : ainsi l’animal existe [comme essence] avant qu’on descende à la propriété de raisonnable [comme différence spécifique, quand on dit : L’homme est un animal raisonnable][41].

XV. Comment quatre des genres complètent-ils donc l’essence, sans toutefois constituer telle essence (ποιὰ ὀυσίά (poia ousia)) ? car ils ne forment pas une certaine essence. — Nous avons déjà parlé de l’Être premier et montré que ni le mouvement, ni la stabilité, ni la différence, ni l’identité ne sont rien d’autre que lui. Il est clair que le mouvement n’introduit pas davantage dans l’Être une qualité ; cependant il sera bon de s’arrêter à cette proposition pour l’éclaircir,

Si le mouvement est l’acte de l’essence, si l’Être et en général tout ce qui est au premier rang est essentiellement en acte, le mouvement ne peut être considéré comme un accident ; mais, étant l’acte de l’Être qui est en acte, il ne peut plus être appelé un simple complément de l’essence, il est l’essence elle-même. Il ne doit être rangé ni parmi les choses postérieures à l’essence, ni parmi les qualités ; il est contemporain de l’essence : car il ne faut pas croire que l’Être existât d’abord, puis qu’il se soit mû [ces deux choses sont contemporaines] ; il en est de même de la stabilité : on ne peut dire que l’Être était, puis qu’il est devenu stable. L’identité, la différence ne sont pas davantage postérieures à l’Être : l’Être n’a pas été d’abord un pour devenir ensuite multiple, mais il est par son essence un-multiple ; en tant que multiple il implique différence ; en tant qu’un-multiple il implique identité. Ces choses suffisent donc pour constituer l’essence[42]. Quand du monde intelligible on descend aux choses inférieures, on rencontre d’autres éléments qui ne constituent plus l’Essence absolue, mais une certaine essence possédant telle qualité, telle quantité : ce sont bien des genres, mais des genres inférieurs aux genres premiers.

XVI. Quant à la relation, qui n’est pour ainsi dire qu’un rejeton accessoire[43], comment pourrait-on songer à la placer parmi les genres premiers ? Il n’y a de relation qu’entre une chose et une autre : ce n’est rien qui existe par soi ; toute relation suppose quelque chose d’étranger.

Les catégories de lieu et de temps sont tout aussi éloignées de pouvoir figurer parmi les genres premiers. Être dans un lieu, c’est être dans quelque chose d’autre que soi, ce qui suppose deux choses[44] ; or un genre doit être un et n’admet pas une telle composition. Le lieu n’est donc pas un genre premier. Ici en effet nous ne nous occupons que des êtres véritables. — Nous en disons autant du temps. Le temps a-t-il le caractère d’être véritable, ou plutôt n’est-il pas évident qu’il ne l’a pas ? Si le temps est une mesure, et non pas une mesure purement et simplement, mais la mesure du mouvement[45], il est quelque chose de double et par conséquent de composé [or, nous venons de le dire, les genres premiers sont simples] ; c’est en outre quelque chose de postérieur au mouvement ; de sorte qu’on ne saurait le mettre au même rang que le mouvement.

L’action et la passion dépendent également du mouvement. Or, comme l’action et la passion sont chacune quelque chose de double, elles sont aussi chacune par conséquent quelque chose de composé[46].

La possession est également double. La situation, qui consiste en ce qu’une chose est de telle manière dans une autre, comprend trois éléments. [Donc la possession et la situation, étant composées, ne sont pas plus des genres premiers que l’action et la passion.]

XVII. Mais pourquoi le bien, le beau, les vertus, la science, l’intelligence ne seraient-ils pas des genres premiers ?

Si par bien on entend le Premier que nous appelons le Bien même, ce dont nous ne saurions rien affirmer, mais que nous nommons ainsi, ne pouvant exprimer autrement l’idée que nous en avons, ce n’est pas un genre : car on ne peut l’affirmer d’aucune autre chose ; s’il y avait des choses dont on pût l’affirmer, chacune d’elles serait le Bien même. En outre, le Bien ne consiste pas dans l’essence ; il est donc au-dessus de l’essence. Mais si par bien on entend une qualité [la bonté], on sait que la qualité ne peut être mise au rang des genres premiers. — Quoi donc ? L’Être n’est-il pas bon ? — Oui, sans doute ; mais il n’est pas bon de la même manière que le Premier, qui est bon, non par une qualité, mais par lui-même, — Mais, nous objectera-t-on, vous avez dit que l’Être renferme les autres genres en lui-même, et que chacun de ceux-ci est un genre parce qu’il est quelque chose de commun et qu’on le trouve en plusieurs choses. Si donc on aperçoit aussi le bien dans chacune des parties de l’Essence ou de l’Être, ou du moins dans le plus grand nombre, pourquoi le bien ne serait-il pas aussi un genre et un des genres premiers ? — C’est qu’il n’est pas le même dans toutes les parties de l’Être, qu’il y est ou au premier degré ou au second, et ainsi de suite ; que ces divers biens sont tous subordonnés les uns aux autres, le dernier dépendant du premier[47] et tous dépendant d’un seul, qui est le Bien suprême ; c’est enfin que si tous participent du bien, ce n’est que d’une manière qui varie suivant la nature de chacun.

Si l’on veut encore que le bien soit un genre, ce sera un genre postérieur : car il sera postérieur à l’essence. Or l’être de l’Essence (τοῦ τί ἐστι τὸ εἶναι (tou ti esti to einai)), quoiqu’il soit toujours uni à l’Essence, est le Bien même, tandis que les genres premiers appartiennent à l’Être en tant qu’être et forment l’Essence. C’est de là qu’on s’élève au Bien absolu, qui est supérieur à l’Être : car il est impossible que l’Être et l’Essence ne soient pas multiples ; l’Être renferme nécessairement en lui-même les genres premiers que nous avons énumérés ; il est l’un-multiple.

Mais si par bien on entend ici l’unité qui est dans l’Être (et nous n’hésitons pas à reconnaître que l’acte par lequel l’Être aspire à l’Un est son vrai bien, que c’est par là qu’il reçoit la forme du Bien), alors le bien de l’Être est l’acte par lequel il aspire au Bien ; cet acte constitue sa vie ; or cet acte est un mouvement, et nous avons déjà mis le mouvement au nombre des genres premiers. [Il est donc inutile de faire du bien ainsi conçu un nouveau genre.]

XVIII. Quant au beau, si par là on entend la Beauté première, la beauté suprême, nous répondrons comme au sujet du bien, ou du moins nous ferons une réponse fort analogue. Si l’on veut seulement parler de cette splendeur dont brille l’idée, nous dirons que cette splendeur n’est pas la même partout, et que d’ailleurs elle est quelque chose de postérieur[48]. Si l’on considère le beau comme étant l’Essence absolue, il est alors compris dans l’Essence dont nous avons déjà traité [et par conséquent ne forme pas un genre à part][49]. Si on le considère par rapport à nous autres, spectateurs, et qu’on le fasse consister à produire en nous une certaine émotion, un tel acte est un mouvement ; si on considère au contraire la tendance qui nous entraîne vers le beau, il y a encore là mouvement.

La science est le mouvement par excellence : car elle est l’intuition de l’Être ; elle est un acte et non une simple habitude. Elle doit donc aussi être rapportée au mouvement[50]. On peut encore la rapporter à la stabilité [si on la considère comme un acte durable], ou plutôt elle appartient aux deux genres. Mais si elle appartient à deux genres différents, elle est quelque chose de mélangé ; or ce qui est mélangé est nécessairement postérieur [aux éléments qui entrent dans le mélange et ne peut être genre premier].

L’Intelligence, c’est l’Être pensant, comprenant tous les genres, et non un genre unique. L’Intelligence véritable est en effet l’Être avec toutes choses ; elle est par conséquent tous les êtres. Quant à l’Être considéré seul, il constitue un genre et est un élément de l’Intelligence.

Enfin, la justice, la tempérance et en général toutes les vertus sont autant d’actes de l’Intelligence. Elles ne sauraient donc figurer parmi les genres premiers. Elles sont postérieures à un genre[51] et constituent des espèces.

XIX. Puisque ces quatre choses [qui complètent l’essence[52], savoir, le mouvement, la stabilité, l’identité et la différence] constituent [avec l’Être] les genres premiers, il reste à examiner si chacun d’eux pris à part engendre des espèces, si, par exemple, l’Être pris en lui-même pourrait admettre des divisions dans lesquelles les autres genres n’entreraient pour rien. — Non, sans doute : car, pour engendrer des espèces, il faut que le genre admette des différences venues du dehors ; que ces différences soient des propriétés appartenant à l’Être en tant qu’être, sans être cependant lui-même. Mais alors d’où l’Être les tient-il ? Ce ne peut être assurément de ce qui n’existe pas. Si c’est nécessairement de ce qui existe, comme il ne reste que trois genres d’êtres, il est évident que l’Être tient ses différences de ces genres, qui s’associent à lui et ont une existence simultanée. Mais par cela même que ces genres ont une existence simultanée [avec l’Être], ils servent à le constituer, puisqu’il se compose de tous ces éléments réunis. Comment alors peuvent-ils être autres que le tout qu’ils constituent ? Comment ces genres font-ils de tous les êtres des espèces ? Comment par exemple le mouvement pur peut-il former des espèces du mouvement ? La stabilité et les autres genres donnent lieu aux mêmes questions. Il faut d’ailleurs prendre garde de perdre chaque genre dans les espèces, et, d’un autre côté, de le réduire à l’état d’un simple prédicat en ne le considérant que dans ses espèces. Il faut que le genre existe à la fois dans les espèces et en lui-même, que tout en se mêlant [aux espèces] il reste en lui-même pur et sans mélange : car, en concourant à l’essence autrement [par son mélange avec les espèces], il s’anéantirait lui-même. Telles sont les questions que nous ayons à examiner.

Maintenant, comme nous avons dit précédemment que ce qui comprend en soi tous les êtres, c’est l’intelligence et même chaque intelligence, que nous avons placé l’Être ou l’Essence au-dessus de toutes les espèces qui en sont les parties, et que nous avons dit que l’Être n’est pas encore l’Intelligence[53], nous reconnaissons par là même que l’Intelligence déjà développée est quelque chose de postérieur. Nous allons mettre à profit l’étude de cette question afin d’atteindre le but que nous nous sommes proposé [pour déterminer le rapport du genre avec les espèces qu’il contient] ; nous nous servirons de l’Intelligence comme d’exemple pour approfondir la connaissance des choses dont nous nous occupons.

XX. Supposons donc l’Intelligence dans un état tel qu’elle ne s’attache encore à rien de particulier, qu’elle ne s’applique à rien, afin de ne pas devenir une intelligence particulière ; concevons-la semblable à la science prise en soi avant les notions des espèces particulières, ou bien encore à la science d’une espèce prise avant les notions des parties qu’elle contient. La science universelle, sans être [en acte] aucune notion particulière, est en puissance toutes les notions, et réciproquement, chaque notion particulière est une seule chose en acte, mais est toutes choses en puissance ; il en est de même de la science universelle. Les notions qui se rapportent ainsi à une espèce existent en puissance dans la science universelle, parce que, tout en s’appliquant à une espèce, elles sont aussi en puissance la science universelle. La science universelle est affirmée de chaque notion particulière, sans que la notion particulière soit affirmée de la science universelle ; cependant la science universelle n’en doit pas moins subsister en elle-même et sans mélange[54].

Il en est de même pour l’Intelligence. Autre est le mode d’existence de l’Intelligence universelle placée au-dessus des intelligences qui sont particulières en acte, autre est le mode d’existence de ces intelligences particulières. Celles-ci sont remplies par les notions universelles : l’Intelligence universelle fournit aux intelligences particulières les notions qu’elles possèdent ; elle est en puissance ces intelligences qu’elle contient toutes dans son universalité ; celles-ci de leur côté contiennent dans leur particularité l’Intelligence universelle comme une science particulière implique la science universelle. La grande Intelligence existe en elle-même et les intelligences particulières existent également en elles-mêmes ; elles sont impliquées dans l’Intelligence universelle, comme celle-ci est impliquée dans les intelligences particulières. Chacune des intelligences particulières existe à la fois en elle-même et dans autre chose [dans l’Intelligence universelle], de même que l’Intelligence universelle existe à la fois en elle-même et dans toutes les autres. Dans l’Intelligence universelle, qui existe en elle-même, toutes les intelligences particulières existent en puissance, parce que celle-ci est en acte toutes les intelligences ensemble et en puissance chacune d’elles séparément. Au contraire, celles-ci sont en acte des intelligences particulières et en puissance l’Intelligence universelle : en effet, en tant qu’elles sont ce qu’on affirme d’elles, elles sont en acte ce qu’on affirme ; en tant qu’elles existent dans le genre qui les contient, elles sont ce genre en puissance[55]. Le genre, en tant que genre, est en puissance toutes les espèces qu’il contient : il n’est aucune d’elles en acte, mais toutes sont en lui implicitement ; en tant que le genre est en acte ce qui existe avant les espèces, il est l’acte des choses qui ne sont pas particulières ; pour que ces choses particulières arrivent à être en acte (comme cela a lieu dans l’espèce), il faut qu’elles y soient amenées par l’acte qui émane du genre et qui joue à leur égard le rôle de cause[56].

XXI. Comment l’Intelligence, tout en restant une, produit-elle par la raison les choses particulières ? C’est demander comment des quatre genres[57] proviennent les genres inférieurs. Contemple donc cette grande et ineffable Intelligence, qui ne se sert pas de la parole, mais qui est toute intelligence, intelligence de tout, intelligence universelle et non intelligence particulière ou individuelle ; considère comment s’y trouvent toutes les choses qui en procèdent. — En contemplant les essences qu’elle contient, elle a le nombre, elle est une et plusieurs ; elle est plusieurs, c’est-à-dire plusieurs puissances, puissances admirables, pleines de force et de grandeur, parce qu’elles sont pures ; puissances vigoureuses, véritables, parce qu’elles n’ont pas de terme auquel elles soient forcées de s’arrêter, infinies par conséquent, infinité et grandeur suprêmes. — Si tu considères cette grandeur et cette beauté de l’essence, si par l’éclat et par la lumière qui l’environnent tu distingues ce que renferme l’Intelligence, tu vois s’épanouir la qualité. — Avec la continuité de l’acte apparaît à ton regard la grandeur à l’état de repos. Comme il y a un et deux et par suite trois, la grandeur se présente comme la troisième chose avec la quantité universelle[58]. — Or, dès que la qualité et la quantité se montrent à nous, et s’unissent, se fondent en quelque sorte en une seule chose, tu vois la figure. — Alors vient la Différence qui divise la qualité et la quantité : de là les diverses qualités et les différences de figure. — La présence de l’Identité fait l’égalité, et celle de la Différence l’inégalité, dans la quantité, dans le nombre, dans la grandeur en général : de là le cercle, le quadrilatère et les figures composées de choses inégales ; de là les nombres semblables et différents, pairs et impairs.

Ainsi la Vie intellectuelle, l’acte parfait, embrasse toutes les choses que notre esprit conçoit maintenant, toutes les œuvres intellectuelles ; elle contient dans sa puissance toutes choses à titre d’essences et de la manière dont les possède l’Intelligence. Or celle-ci les possède par la pensée, pensée qui n’est pas discursive [mais intuitive]. La Vie intellectuelle possède donc toutes les choses dont il y a des raisons [des idées] ; elle est elle-même une Raison unique, grande, parfaite, qui renferme toutes les raisons[59], qui les parcourt avec ordre en commençant par les premières, ou plutôt qui les a parcourues de tout temps, en sorte qu’on ne peut jamais dire avec vérité qu’elle les parcourt[60] : car toutes les choses que le raisonnement nous fait saisir en quelque partie que ce soit de l’univers, on trouve que l’Intelligence les possède sans raisonnement ; il semble que ce soit l’Être même qui [étant identique à l’Intelligence] ait fait raisonner ainsi l’Intelligence [ait produit ses conceptions[61]], comme cela paraît arriver dans les raisons séminales qui produisent les animaux[62]. Dans les raisons qui sont antérieures au raisonnement [dans les idées], toutes choses se trouvent avoir la constitution que l’intelligence la plus pénétrante serait amenée par le raisonnement à juger la meilleure[63]. Que ne doivent donc pas être ces idées supérieures et antérieures à la Nature et aux raisons ? L’Intelligence y est identique avec l’Essence[64] ; l’existence n’y est pas adventice, non plus que l’intelligence ; tout y est parfait, puisque tout y est conforme à l’intelligence. L’Être est ce qu’exige l’Intelligence ; il est par conséquent être véritable et premier : car s’il procédait d’un autre être, c’est cet autre qui serait l’Intelligence.

Puisque l’Être nous montre ainsi en lui toutes les figures et la qualité universelle (elle ne pouvait être particulière : car elle ne devait pas être unique, la double présence de la Différence et de l’Identité exigeant qu’elle fût à la fois une et plusieurs) ; puisque l’Être est dès l’origine un et plusieurs, que toutes les espèces qu’il comprend doivent par conséquent renfermer à la fois unité et pluralité, offrir des grandeurs, des qualités, des figures différentes (car il est impossible que quelque chose manque à l’Être, qu’il ne soit pas l’universalité complète, parce qu’il ne serait plus universel s’il n’était pas complet) ; puisqu’enfin la Vie y pénètre tout, y est présente partout, il en résulte que de lui ont dû naître tous les animaux (car les corps mêmes n’y manquent pas puisqu’on y trouve matière et qualité) . Or, comme tous les animaux y sont nés et y subsistent de tout temps, étant par leur être embrassés dans l’éternité, que pris séparément ils sont chacun une des différentes essences, que pris ensemble ils forment une unité, il en résulte que l’ensemble complexe et synthétique de tous ces animaux est l’Intelligence, qui, ayant ainsi en soi tous les êtres, est l’Animal parfait, l’Animal par essence. En se laissant contempler par ce qui tient d’elle l’existence, l’Intelligence devient pour lui l’Intelligible, et reçoit cette qualification avec vérité[65].

XXII. C’est ce qu’a voulu faire entendre Platon quand il a dit, d’une manière énigmatique : « L’Intelligence contemple les idées comprises dans l’Animal parfait[66] ; elle voit ce qu’elles sont et en quel nombre elles sont. » En effet, l’Âme [universelle], qui vient immédiatement après l’Intelligence, possède les idées en elle en tant qu’âme, mais elle les voit mieux dans l’Intelligence qui est au-dessus d’elle[67]. De même, notre intelligence propre, qui possède aussi en elle les idées, les voit mieux quand elle les contemple dans l’Intelligence supérieure : car en elle-même, elle voit seulement ; dans l’Intelligence supérieure, elle voit en outre qu’elle voit[68]. Or cette Intelligence qui contemple les idées n’est pas séparée de l’Intelligence supérieure (car elle en procède) ; mais comme elle est la pluralité sortie de l’unité, parce que [à l’identité] elle unit la différence, elle devient unité-pluralité. Étant à la fois unité et pluralité, l’Intelligence en vertu de sa nature multiple produit la pluralité [des essences][69]. On ne saurait d’ailleurs trouver en elle rien qui soit numériquement un, rien de ce qu’on nomme un individu. Quelle que soit la chose que l’on contemple en elle, c’est toujours une forme : car il n’y a pas en elle de matière. C’est pourquoi Platon a dit encore, en faisant allusion à cette vérité, que l’essence est divisée à l’infini[70]. Quand on descend du genre aux espèces, on n’arrive pas encore à l’infini[71] : car ce qui naît ainsi est défini par les espèces qui ont été engendrées par le genre ; le nom d’infini s’applique mieux à la dernière espèce, qui ne se divise plus en espèces. C’est pourquoi [comme l’enseigne Platon], quand on est arrivé aux individus, il faut les abandonner à l’infini[72]. Ainsi, les individus sont infinis en tant qu’ils sont pris en eux-mêmes ; mais en tant qu’ils sont embrassés par l’unité, ils sont ramenés à un nombre. — L’Intelligence embrasse donc ce qui vient après elle, l’Âme, en sorte que l’Âme, jusqu’à la dernière de ses puissances, est contenue par un nombre ; pour cette dernière puissance, elle est tout à fait infinie[73]. Considérée dans cet état [où, se tournant vers ce qui est au-dessous d’elle, elle engendre l’Âme], l’Intelligence est une partie [parce qu’elle s’applique à une chose particulière], quoiqu’elle possède toutes choses et qu’elle soit par elle-même universelle ; les intelligences qui sont ses parties sont chacune une partie [constituent chacune une intelligence particulière] en vertu de l’acte de l’Intelligence qui est [qui existe en elle-même][74]. Quant à l’Âme, elle est une partie d’une partie [c’est-à-dire une partie de l’Intelligence qui est elle-même une partie, comme il vient d’être dit], mais elle existe en vertu de l’acte de l’Intelligence qui agit hors d’elle-même. En effet, quand l’Intelligence agit en elle-même, les actes qu’elle produit sont les autres intelligences ; quand elle agit hors d’elle, elle produit l’Âme. Quand l’Âme agit à son tour comme genre ou espèce, elle engendre les autres âmes qui sont ses espèces. Ces âmes ont elles-mêmes deux actes : l’un, dirigé vers ce qui est au-dessus d’elles, constitue leur intelligence ; l’autre, dirigé vers ce qui est au-dessous d’elles, donne naissance aux autres puissances rationnelles, et même à une dernière puissance qui est en contact avec la matière et la façonne[75]. La partie inférieure de l’âme n’empêche pas tout le reste de demeurer dans la région supérieure[76]. D’ailleurs, cette partie inférieure n’est que l’image même de l’âme ; elle n’en est pas séparée[77], mais elle ressemble à l’image réfléchie par un miroir, image qui persiste tant que le modèle est placé devant le miroir. — Mais comment doit-on concevoir que le modèle est placé ainsi devant le miroir ? — Le voici : jusqu’à ce qui est immédiatement au-dessus de l’image [c’est-à-dire jusqu’à l’âme], c’est le monde intelligible, composé de tous les intelligibles, et tout parfait. Le monde sensible n’est que l’imitation de celui-là, et il l’imite autant qu’il lui est possible, en ce qu’il est lui-même un animal qui est l’image de l’Animal parfait ; il l’imite comme le portrait obtenu par la peinture ou réfléchi par la surface de l’eau reproduit la personne placée au-dessus de l’eau ou devant le peintre. Ce portrait obtenu par la peinture ou réfléchi par la surface de l’eau n’est pas l’image du composé qui constitue l’homme [de l’âme et du corps], mais de l’une des deux parties seulement, du corps qui a été façonné par l’âme. De même par conséquent, le monde sensible, qui est fait à la ressemblance du monde intelligible, nous offre des images, non de son créateur, mais des essences qui sont contenues dans son créateur, au nombre desquelles se trouve l’homme avec tout autre animal ; or chaque animal a cela de commun avec son créateur de posséder la vie, mais chacun d’eux la possède d’une manière différente ; tous deux en outre font également partie du monde intelligible[78].


  1. Après avoir dans le livre I examiné les dix catégories d’Aristote et les quatre catégories des Stoïciens, Plotin expose dans le livre II la première partie de sa propre théorie, savoir, les Genres de l’être intelligible. Elle se trouve en germe dans le Sophiste de Platon, dont notre auteur invoque ici l’autorité. Pour les autres Remarques générales, Voy. les Éclaircissements sur ce livre à la fin du volume.
  2. Voy. ci-après le § 2.
  3. Voy. ci-après les livres IV, V, VI, IX.
  4. Voy. les passages du Sophiste de Platon, que nous citons ci-après p. 216-219.
  5. Ficin ajoute dans sa traduction vel indivisibile, ce qui n’est pas dans le texte grec de Creuzer, et qui ne semble nullement justifié.
  6. Au lieu d’ὑποστατέον (hupostateon), que portent les premières éditions, il faut évidemment lire ἀποστατέον (apostateon), comme le fait M. Kirchhoff.
  7. Voy. ci-après liv. III, § 6.
  8. Voy. ci-après liv. III, § 3.
  9. Voy. sur ce point Enn. III, liv. II, § 16 ; t. II, p. 60.
  10. Sur la distinction des deux parties de l’Âme universelle, savoir, la Puissance principale de l’Âme qui reçoit de l’Intelligence les formes, la Puissance naturelle de l’Âme qui les transmet à la matière en la façonnant par les raisons séminales, Voy. Enn. II, liv. III, § 17-18 ; t. II, p. 191-193.
  11. Voy. sur cette question Enn. I, liv. I, § 2 ; t. I, p. 36-37.
  12. « L’unité se dit de ce dont la notion est une, ce qui a lieu quand il y a l’unité de pensée, qui est la pensée indivisible. Or, la pensée indivisible, c’est la pensée de ce qui est indivisible soit sous le rapport de la forme, soit sous le rapport du nombre. L’être particulier est indivisible numériquement ; l’indivisible sous le rapport de la forme, c’est ce qui est indivisible sous le rapport de la connaissance et de la science. L’unité primitive est, par conséquent, celle qui est la cause de l’unité des substances. » (Aristote, Métaphysique, liv. X, chap. 1 ; trad. de MM. Pierron et Zévort, t. II, p. 119.)
  13. Voy. les mêmes idées plus développées dans Enn. III, liv. VIII, § 7-8 ; t. II, p. 223-229.
  14. « Mais quoi, par Jupiter, nous persuadera-t-on si facilement que, dans la réalité, le mouvement, la vie, l’âme, l’intelligence, ne conviennent pas à l’être absolu ? que cet être ne vit ni ne pense, et qu’il demeure immobile, immuable, sans avoir part à l’auguste et sainte intelligence ?… Il faut donc accorder que le mouvement et ce qui est mû existent. Car, si tout est immobile, il ne peut y avoir aucune connaissance d’aucune chose. » (Platon, Sophiste ; trad. de M. Cousin, t. XI, p. 261-262.)
  15. Plotin établit plus loin une différence entre la stabilité et le repos proprement dit. Voy. ci-après le livre III, § 27.
  16. « Et pourtant, si nous reconnaissons que tout est livré à un perpétuel mouvement, nous retranchons du nombre des êtres, par le même raisonnement, cela même que nous venons d’établir… Penses-tu que sans stabilité il puisse y avoir rien qui soit le même dans ses modes, dans sa durée, dans ses rapports ? Et vois-tu que sans cela quelque connaissance au monde puisse être ou paraître, etc. » (Platon, Sophiste ; trad. de M. Cousin, t. XI, p. 262.)
  17. Ainsi l’être n’est pas le mouvement et le repos pris ensemble ; c’est quelque chose qui est différent, etc. » (Platon, Sophiste ; trad. de M. Cousin, t. XI, p. 266.)
  18. Nous lisons ici avec Creuzer εἴπερ νοεῖ ϰαὶ ἔστιν (eiper noei kai estin), mots qui se trouvent dans les meilleurs manuscrits et qui manquent dans la traduction de Ficin.
  19. De tous les genres dont nous avons parlé tout à l’heure, les plus grands sont l’être lui-même, le repos et le mouvement. Nous avons dit que les deux derniers ne peuvent pas être mêlés l’un avec l’autre. Mais l’être peut être mêlé avec tous les deux : car tous deux ils sont… Ainsi cela fait trois. Et chacun d’eux est autre que les deux autres et le même que soi. Mais qu’est-ce que nous venons de dire encore, l’autre et le même ? Sont-ce deux genres différents de ces trois-là, et qui pourtant soient toujours nécessairement mêlés avec eux, et cela fait-il en tout cinq genres au lieu de trois ? etc. » (Platon, Sophiste ; trad. de M. Cousin, t. XI, p. 279-280.)
  20. Toute la discussion qui suit est dirigée contre Aristote.
  21. C’est la doctrine d’Aristote : « Si, d’un autre côté, l’être et l’unité sont la même chose, sont une seule et même nature, puisqu’ils s’accompagnent toujours l’un l’autre comme principe et comme cause, sans être cependant compris sous une même notion, peu importera que nous traitions simultanément de l’être et de l’essence : ce sera même un avantage. En effet, un homme, être homme et homme signifient la même chose ; on ne change rien à l’expression : L’homme est, par ce redoublement : L’homme est homme, ou : L’homme est un homme. Il est évident que l’être ne se sépare de l’unité ni dans la production ni dans la destruction. De même, l’unité naît et périt avec l’être. On voit assez, par conséquent, que l’unité n’ajoute rien à l’être par son adjonction, enfin que l’unité n’est rien en dehors de l’être. De plus, la substance de chaque chose est une en soi, et non accidentellement : il en est de même de l’essence ; de sorte qu’autant il y a d’espèces dans l’unité, autant il y a dans l’être d’espèces correspondantes. » (Métaphysique, liv. IV, § 2 ; trad. de MM. Pierron et Zévort, t. I, p. 105.)
  22. Plotin a dit ci-dessus, à la fin du § 8, que le Mouvement, la Stabilité, l’Identité et la Différence ne sont pas des espèces de l’Être. Voy. aussi le commencement du § 7.
  23. « Ce que vous appelez être, n’est-ce pas quelque chose ? Et ce quelque chose, n’est-ce pas ce que vous appelez aussi un, donnant deux noms à une même chose ? » (Platon, Sophiste ; trad. de M. Cousin, t. XI, p. 246.)
  24. Les textes imprimés portent les mots ἓν ἐϰάτερον, qui ne donnent pas de sens. Creuzer a trouvé dans un des meilleurs manuscrits le mot ἕτερον (heteron) ajouté entre ces deux mots. Nous avons suivi cette leçon, que Ficin paraît avoir eue sous les yeux en faisant sa traduction : « Quod si unum ipsum esse alterum dicat, utrumque certe naturam quamdam dicit. »
  25. Nous lisons avec M. Kirchhoff ἕν ἀρχή (hen archê), au lieu de ἐν ἀρχῇ (en archê).
  26. Voy. le passage d’Aristote cité ci-dessus p. 220, note 2.
  27. Voy. ci-après le livre IX, § 1.
  28. Voy. ci-après le livre IV.
  29. Voy. le passage d’Aristote cité ci-dessus p. 220, note 2.
  30. Creuzer donne ἀπ’αὐτοῦ (ap’autou), ce qui n’offre aucun sens. Nous lisons avec Kirchhoff ἐπ’αὐτοῦ (ep’autou).
  31. Nous lisons avec Creuzer : ϰαὶ ἕν αὐτῷ ὡς ἀρχὴ ϰαὶ τέλος (kai hen autô hôs archê kai telos), que donnent tous les manuscrits, au lieu de : ϰαὶ ἐν αὐτῷ (kai en autô), leçon suivie par Ficin dans sa traduction. Le sens est d’ailleurs le même.
  32. Voy. Aristote, Métaphysique, liv. XIV, chap. 6.
  33. Dans cette discussion, Plotin a pour but d’établir que la qualité, la quantité, et les autres catégories d’Aristote ne s’appliquent pas à l’être intelligible, mais seulement à l’être sensible. Sur ce dernier point, Voy. le livre suivant.
  34. Voy. ci-après p. 240.
  35. Voy. ci-dessus p. 165, note 3.
  36. Voy. ci-après § 21, p. 239, et le livre vi.
  37. Voy. ci-dessus p. 11, et ci-après p. 239-240.
  38. Ficin traduit en ajoutant une négation au texte : « Non decet divisionem rerum non simplicium compositarumque efficere. » Nous avons suivi Ficin, parce que cette addition est conforme au sens général de ce passage, comme Creuzer le reconnaît dans ses notes.
  39. On voit par le § 15 que, pour Plotin, ce qui complète l’essence, ce sont les quatre genres premiers qui viennent après celui de l’être, savoir le mouvement, la stabilité, l’identité, la différence.
  40. Voy. Enn. II, liv. VI, § 2 ; t. II, p. 240.
  41. Pour le développement de cette idée, Voy. ci-après, liv. VII, § 3-6.
  42. Ficin, dans l’argument placé en tête du § 15, éclaircit la pensée de Plotin par une ingénieuse comparaison : « Sicut non est prius ignis, deinde lux ejus, et calor, et siccitas atque levitas ; sed quatuor hæc, simul cum ignis essentia, sunt tanquam et proprietates et actus comites ejus existentis in actu ; ita ad ipsum ens se habent motus ejus intimus, atque status, et identitas pariter et alteritas. »
  43. Cette expression est empruntée à Aristote, Éthique à Nicomaque, liv. I, chap. VI, § 2.
  44. Voy. ci-dessus le livre I, §14, p. 178. Tout ce paragraphe est évidemment dirigé contre Aristote.
  45. Voy. Enn. III, liv. VII, § 11 ; t. II, p. 203.
  46. Kirchhoff suppose ici une lacune sans aucune nécessité. Il faut évidemment sous-entendre l’argumentation faite à l’égard du temps quelques lignes plus haut. La concision de cette phrase s’explique d’ailleurs par ce fait que Plotin a déjà traité longuement ce sujet ci-dessus dans le livre I, p. 179-193.
  47. Ficin ajoute dans sa traduction : Rursumque inde posterius.
  48. Voy. Enn. I, liv. VI.
  49. Voy. Enn. V, liv. VIII.
  50. Voy. le passage du Sophiste de Platon que nous avons cité ci-dessus p. 216, note 1.
  51. Nous lisons avec Ficin ὕστερα γένους (hustera genous), au lieu de γένος (genos), que donnent les manuscrits, mais qui n’offre pas de sens satisfaisant, comme Creuzer le reconnaît dans ses notes.
  52. Voy. ci-dessus le début du § 15, p. 231.
  53. μήπω νοῦν εἶναι (mêpô noun einai). Kirchhoff a retranché ici, et sans en donner le motif, l’adverbe μήπω (mêpô), qui se trouve dans les éditions, et que Ficin a traduit : Nondum tamen intellectum.
  54. Voy. la même comparaison plus développée dans l’Enn. II, liv. IX, § 5 ; t. III, p. 501.
  55. Voy. la même idée plus développée dans l’Ennéade IV, liv. VIII, § 3 ; t. II, p. 483.
  56. L’acte qui émane du genre est ici l’Âme qui procède de l’Intelligence et réalise les idées contenues dans l’Intelligence. Voy. ci-après § 22.
  57. Voy. ci-dessus la note 2 de la page 236.
  58. Voy. ci-dessus p. 220.
  59. Voy. Enn. III, liv. II, § 16 ; t. II, p. 60.
  60. Voy. Enn. IV, liv. VIII, § 8 ; t. II, p. 228.
  61. Voy. Enn. III, liv. VIII, § 7 ; t. II, p. 223.
  62. « Être ce qu’elle est et produire ce qu’elle produit sont dans la Nature une seule et même chose, etc. » (Ibid., § 2 ; t. II, p. 214.)
  63. Voy. Enn. III, liv. II, § 2 ; t. II, p. 23-24.
  64. Voy. Enn. III, liv. VIII, § 7 ; t. II, p. 223.
  65. « En contemplant l’Intelligible, l’Intelligence lui devient semblable, et elle en est l’Intelligence parce qu’elle le pense. En le pensant, elle est d’une manière l’Intelligence, et d’une autre manière l’Intelligible, parce qu’elle l’imite. » Enn. III, liv. IX, § 1 ; t. II, p. 240.
  66. Il y a dans Platon l’Animal qui est. Ce passage a déjà été cité et commenté par Plotin, Enn. III, liv. IX, § 1 ; t. II, p. 238.
  67. Pour le développement de cette théorie, Voy. Enn. II, liv. IX, § 1 ; t. II, p. 240.
  68. Voy. Enn. V, liv. III, § 4 ; t. II, p. 38.
  69. Si on lit avec M. Kirchhoff τοὺς πολλοὺς νοῦς (tous pollous nous), au lieu de τὰ πολλὰ (ta polla), il faut traduire : la pluralité des intelligences. Ficin ajoute à la fin de la phrase atque vicissim, mots auxquels rien ne correspond dans le texte grec et dont on ne voit pas la nécessité.
  70. Plotin paraît faire ici allusion au passage de Platon que nous citons ci-après p. 247, note 1.
  71. Infini signifie ici indéfini, indéterminé.
  72. Plotin parait faire ici allusion à un passage du Philèbe de Platon, que M. Cousin traduit littéralement de la manière suivante (t. II, p. 308, note) : « L’infinité des individus et la multitude qui se trouve en eux est cause que tu es d’ordinaire dépourvu d’intelligence. »
  73. Cette puissance est la matière. Voy. Enn. III, liv. IV, § 1 ; t. II, p. 89.
  74. Cette phrase est expliquée par ce qui suit : « Quand l’Intelligence agit en elle-même, les actes qu’elle produit sont les autres intelligences. »
  75. Pour l’explication de tout ce que Plotin dit ici sur l’Intelligence et l’Âme, Voy. Enn. IV, liv. VIII, § 3-7 ; t. II, p. 482-492.
  76. Voy. Enn. IV, liv. VIII, § 8 ; t. II, p. 492.
  77. Voy. Enn. IV, liv. IV, § 29 ; t. II, p. 377.
  78. Voici comment Ficin commente la fin de ce livre : « Prima Essentia ex se viva nominatur ipsum vivens ipsumque Animal ; hujus actus in se reflexus appellatur Intellectus, qui in hac ipsa substantia sui viva tot ideas inspicit quot species fabricaturus est in mundo. — Sensus in se sentit tantum, in imaginatione vero persentit insuper se sentire. Similiter imaginatio imaginatur in se ; in ratione imaginari se percipit. Ratio in se argumentatur ; in intellectu animadvertit se argumentari. Intellectus noster in se intellîgit, in divino intelligentiam suam animadvertit. Divinus Intellectus in sua essentia viva possidet et invenit omnia. Est autem vivens hæc Essentia uniformis simul et omniformis ; ideoque mundus hic inde talis intelligitur atque generatur. Sunt vero ibi formæ rerum usque ad species ultimas tantum multiplicatæ ; in Anima vero mundi inde nata, multiplicatse magis ; maxime vero in Natura genitali, quæ hujus Animæ postremum est. Omnes quidem ideas appellat hic intellectus, generalem vero animarum ideam nominat quum Intellectum, tum etiam Animam, quatenus sursum aspicit vel deorsum ; similiterque animam nostram triplici ratione dignam censet triplici cognomento. »