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CLEMENCEAU NERVEUX

Ribot vient m’annoncer que son beau-fils a été tué.

Paul Cambon, venu à Paris pour deux ou trois jours, m’assure que les événements actuels ne modifient pas les dispositions du gouvernement anglais en ce qui concerne la continuation de la guerre. Lloyd George ne peut pas changer d’attitude. S’il tombait, Asquith viendrait au pouvoir avec des pacifistes.

Cambon m’apprend que, du ministère, on lui a communiqué ces jours-ci le résumé d’un déchiffrement de Bonin. Celui-ci avait vu Clemenceau, qui s’était plaint de plusieurs de ses ministres, notamment de Pams.

Joseph Reinach venu me voir me dit : « Je suis plus ministériel que jamais. Mais ici nous sommes au confessionnal : la popularité de Clemenceau baisse. On s’aperçoit trop de ses défauts. Ranc disait de lui : « Si l’on ne connaissait son incurable légèreté, on le prendrait parfois pour un criminel. » Il n’a vraiment pas changé ; il est toujours aussi léger. Hier, il racontait devant dix personnes qu’il était d’accord avec Lloyd George pour envoyer un officier en mission en Angleterre au sujet des effectifs. Or, cette mission ne peut être acceptée par l’opinion anglaise que si l’on ne blesse pas le peuple britannique par des indiscrétions. Je l’ai trouvé ces jours-ci nerveux, agité, préoccupé de gestes romantiques. Il disait l’autre jour à Haig, qui nous l’a répété : « La politique, en temps de guerre, ce sont des gestes. » « Clemenceau est un homme de Victor Hugo, comme Briand est un homme de Balzac. »


Lundi 3 juin.

Jean Dupuy ne croit pas, m’avoue-t-il, à la possibilité de continuer la guerre si Paris est pris ou même seulement bombardé avec quelque violence.