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LA VICTOIRE

quand votre lettre m’est arrivée. Elle était au moins inutile puisque vous alliez avoir l’occasion de me dire tout ce qui vous paraîtrait nécessaire. Mais au lieu de rester dans ce rôle si naturel, — tout comme il vous était déjà arrivé de m’envoyer des lettres dont vous m’aviez dit le contenu avant de me les adresser, — vous vous donnez le facile avantage, en une correspondance écrite pour vos mémoires, de faire à bon compte figure d’énergie au regard d’un président du Conseil dont la politique à l’égard de l’Allemagne courrait le risque, d’après vous, de porter dommage aux légitimes résultats de nos succès.

« Ceci je ne peux l’admettre, car il m’est impossible, tandis que je me débats dans des conférences très dures avec nos alliés, d’accepter que le chef de l’État, à qui je dois toutes confidences, tire parti contre moi de paroles interprétées à sa guise, alors que je dois lui exposer à tous moments le fort et le faible de notre situation.

« En réalité, je m’en inquiéterais fort peu, si je ne prévoyais les grandes difficultés qui vont surgir avec nos alliés pour l’établissement des conditions éventuelles d’un armistice et plus encore d’une paix avec l’Allemagne. Comme il est à craindre que nous ayons, chemin faisant, des concessions à faire, non à l’Allemagne, mais à nos alliés eux-mêmes et que je suis prêt à assumer la responsabilité de toutes conclusions estimées conformes à l’intérêt supérieur du pays, il ne me convient pas que le président de la République prenne acte d’avance, contre moi et avec mon consentement supposé, de ce que je n’aurai pas pu obtenir, pour se draper lui-même dans une intransigeance trop facile à étaler quand l’heure des périls est passée. Je vous le dis sans détour : c’est ce que j’ai vu dans votre lettre et c’est ce que je ne peux pas accepter.