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LETTRE DE CLEMENCEAU

« Je m’étais si peu trompé sur ce point que dans la seconde lettre, destinée à atténuer la première, vous revenez à votre méthode de précautions personnelles en écrivant qu’en mars dernier vous avez protesté contre mon idée de quitter Paris. Si j’avais pu craindre d’avoir eu la riposte trop prompte, ce nouveau document aurait suffi à montrer que je ne m’étais pas mépris sur vos intentions.

« Alors, vous avez eu besoin de « protester contre mon idée de quitter Paris » ? Mes souvenirs sont fort différents : Vous m’avez dit que vous vouliez une défense suprême de Paris, ce sur quoi nous nous sommes trouvés d’accord, et lorsque je vous ai demandé ce qui serait à faire si Paris était réduit, par la famine ou par les armes, à capituler, vous m’avez répondu que la défense serait alors bien difficile. La réponse était assez claire. Je n’ai pas insisté, sinon pour vous dire qu’en ce cas, moi, je continuerais la lutte et que je partirais de Paris en avion le dernier. J’ai dit la même chose aux Commissions parlementaires et je l’ai dit, autant qu’il m’était possible de le dire, à la tribune même par ce mot « Nous ne capitulerons jamais », ce que tout le monde a très bien compris.

« Je pourrais tirer de tout cela mille considérations si je me proposais de polémiquer. Mais je ne veux pas aller plus loin. Je ne m’obstinerai pas dans ma démission si vous m’écrivez que vous ne sauriez maintenir deux lettres qui, en me blessant, ne peuvent que me gêner dans la liberté d’esprit nécessaire à ma tâche de chaque jour. Vous me permettrez en même temps de vous demander de ne plus m’écrire. Lorsque vous aurez à me parler, vous n’aurez qu’à me le faire connaître, je me rendrai immédiatement à l’Élysée. La sorte de correspondance que vous avez instituée ne peut vraiment pas être maintenue entre nous. Elle