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LA VICTOIRE

mais si vous voulez mon avis, je vous déclare franchement que je suis personnellement opposé à une paix qui se ferait au lendemain d’une défaite ; elle serait désastreuse. »

Clemenceau, en apparence très gai, fait des mots. Il s’interrompt toutefois pour me confier avec tristesse que le général Pétain envisage le repli de l’armée française vers le sud pendant que l’armée anglaise se retirerait vers le nord. Pétain avait, ajouté Clemenceau, donné des ordres en conséquence. Foch me confirme ce dernier renseignement et me communique l’ordre de retraite donné par Pétain. « Le président du Conseil, ajoute Foch, ne s’occupe des choses de guerre que depuis peu ; il avait accepté le point de vue de Pétain, mais je n’ai pas voulu en accepter la responsabilité. J’ai remis à M. Clemenceau une note pour lui faire connaître mon opinion. Le bon sens indique que lorsque l’ennemi veut ouvrir un trou, on ne l’élargit pas. On le ferme, ou on essaie de le fermer. Nous n’avons qu’à essayer et à vouloir ; le reste sera facile. On s’accroche au terrain, on le défend pied à pied. Nous avons fait cela à Ypres, nous l’avons fait à Verdun. » Et Foch soutient encore ces choses avec la même énergie devant Clemenceau, devant le sénateur et le député.

Clemenceau, de plus en plus converti, me prend à part et me dit : « Pétain est agaçant à force de pessimisme. Imaginez-vous qu’il m’a dit une chose que je ne voudrais confier à aucun autre qu’à vous. C’est cette phrase : « Les Allemands battront les Anglais en rase campagne ; après quoi, ils nous battront aussi. » Un général devrait-il parler et même penser ainsi ? »

Toujours dans le jardin, Foch reprend et développe sa thèse et ajoute : « Il faudrait dresser un procès-verbal de la réunion qui va se tenir. — À quoi bon ? riposte Clemenceau. — Pour fixer les