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ORIGINE ET FORMATION

Dans les deux derniers siècles, tous les bourgeois vivant noblement, c’est-à-dire ne faisant pas le commerce, dès qu’ils étaient possesseurs d’un petit quartier de terre en prenaient le nom, et quittaient même souvent leur ancien nom de famille pour celui de leur domaine, vanité que Molière a ridiculisée dans ces vers de L’École des Femmes :

Quel abus de quitter le vrai nom de ses pères Pour en vouloir prendre un bâti sur des chimères ! De la plupart des gens c’est la démangeaison ; Et sans vous embrasser dans la comparaison, Je sais un paysan qu’on appelait Gros-Pierre, Qui n’ayant pour tout bien qu’un seul quartier de terre, Y fit à tout l’entour faire un fossé bourbeux, Et de Monsieur de l’Isle en prit le nom pompeux.

Nous ignorons si c’est avant d’avoir fait ces vers ou après, que Jean-Baptiste Poquelin devint M. de Molière (du Moulin), mais il paraît que la mode fut contagieuse, même pour lui.

« Plusieurs suppriment leurs noms, dit aussi la Bruyère, qu’ils pourraient conserver sans honte, pour en adopter de plus beaux ou ils n’ont qu’à perdre, par la comparaison que l’on fait toujours deux qui les portent, avec les grands hommes qui les ont portés. » Il s’en trouve enfin qui, nés à l’ombre d’un clocher de Léon et de Cornouaille, allongent leur nom d’une terminaison étrangère, croyant se rendre des personnages plus importants.

Tout le monde connaît de ces individus cosmopolites qui répondaient dans leur enfance au nom de Martin, par exemple, et qui, suivant la province ou le pays dont ils ont intérêt à se dire originaires, deviennent des Kermartin en Basse-Bretagne, des la Martinière dans la haute, des Martinville en Normandie, des Martincourt en Picardie, des Martinbourg en Flandre, des O’Martin en Irlande, des Mac Martin en Écosse, des Fitz Martin ou Martinson en Angleterre, des Martinski en Pologne, des Martinowitz ou Martinoff en Russie, des Martini, Martinelli, Marlinosi, Martinengo en Italie, des Martineng en Dauphiné, des Martignac en Gascogne, des Martinez en Espagne, et qui en passant par Montmartin et Martigny, finissent par mourir Martineau.

Court de Gébelin, dans son Monde primitif analysté[1], traitant de l’origine des noms de famille, rapporte à son tour les métamorphoses que M. Trottin faisait subir à son nom dans ses voyages, où il devenait Trottincourt en Picardie, Trottinville en Normandie, Trottigneuc dans le Perche, Trottinguer en Bretagne, Trottinifere en Poitou, Trottignac en Périgord, Trottinargue en Languedoc, Trottinoz en Franche-Comté, Trottini en Italie, Trottinski en Pologne, Trottimbach en Allemagne, etc.

Mais ce n’est point un traité des usurpateurs de noms que nous faisons ici ; nous n’avons voulu qu’indiquer seulement la formation et l’origine des noms. Pour trouver nos exemples, nous n’avons eu qu’à compulser les registres de l’état-civil

  1. 9 vol. in-4e Paris 1775-1784.