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DE LA NOBLESSE



Bien loin de se renfermer dans ces limites c !6ja bien larges, les titres, depuis la promulgation de la nouvelle loi, surgissent de toute part, même dans les actes officiels ; et leur nombre grossit démesurément sans autre prétexte que la préexistence d’un titre, gratifié a un ascendant par son curé et son tabellion, sur un acte de manage ou un bail à ferme. Ils deviennent aussi banals que le sont en Angleterre ceux d'esquive ou de gentleman, qui n’impliquent aucune prétention à la noblesse. Devant cette maladie sociale et épidémique, nous ne pouvons que répéter après Chérin, le plus sincère des généalogistes : « Hélas ! toute la bourgeoisie y passera 1 . » Est-ce effectivement pour que toute la bourgeoisie y passe, que la loi a été votée ? On serait tenté de le supposer, en voyant que le Ministre se réserve de dispenser arbitrairement d’ici a deux ans, de la publicité prescrite jusqu’à ce jour pour les demandes en changement de nom. Ainsi lorsque l'autorisation de renier légalement le nom de ses pères ne sera sollicitée « que pour régulariser un nom honorablement porté, depuis longtemps accepté par le public, inscrit dans les actes officiels ou illustré par d'importants services (Rapport du Garde des Sceaux), » le pétitionnaire sera exempts de la publicité de l'insertion au Moniteur et dans les Les journaux de l’arrondissement ou il réside et ou il est né. Ce serait le cas de rappeler que les principes de 89, fort compatibles, quoi qu’on en ait dit, avec les distinctions honorifiques, consacraient l'égalité devant la loi, égalité étrangement interprétée dans l’application de celle même qui fait le sujet de cette étude.

Tous les usurpateurs de noms justifiant d’une vie honorable et de l'acceptation de leur nom d’emprunt par le public — comme si le public avait qualité pour s’opposer à leur fréquente éclosion — ont donc deux ans devant eux pour faire ratifier à la sourdine leur nouvel état civil, sans que leur amour-propre ait à souffrir de ce supplément de baptême, et sans que les habitants de leur ville ou de leur village et leurs proches mêmes, puissent découvrir sous la peau du lion, le bout d’oreille de l’âne.

Force gens font du bruit en France

Par qui cet apologue est rendu familier ;

Un Equipage cavalier

Fait les trois quarts de leur vaillance.

signés par des commis, lesquels imitent l’écriture du Roi (Ménoires du duc de Saint-Simon, sous l’année 1701 T. II p 150 ; Mémoires du Duc de Luynes, sous l’année 1753, T. XII p. 374 ). Roze, dit Saint-Simon, avoit la plume c’est-à-dire qu’il faisoit les lettres de la main du Roi. Jamais homme ne la fait si bien, si proportion ne ment, ni si dignement écrire, et n’a mieux contre fait l'écriture du Roi ; c’étoit a s'y méprendre en les confrontant toutes deux, la fausse et la véritable. (Journal du marquis de Dangeau, sous l’année 1684, T. I, p. 53). Les fonctions de secrétaires de la main peuvent être assimilées a celles de secrétaires actuels des commandements ; mais si l’existence des premiers était mieux connue, les collecteurs d’autographes -attacheraient sans doute moins de prix a la possession de signatures royales, dont l’authenticité est au moins douteuse.

Le jurisconsulte Hévin, dans ses Questions féodales, traitant de la qualité de vicomte, dit que ce fut dans le XVI« siecle qu’on commença a s’embaronner, de même que dans le siècle suivant on s’emmarquisa. Il appartenait au nôtre de se comtifier ; mais si Chérin, menacé par un officier mécontent de se voir refuser par lui le titre de marquis, pouvait répondre avec assurance, qu’il connaissait un lieu — le marquisat en question — ou il serait à l'abri de sa vengeance, quelle longue nomenclature ferait celle des comtes annexes depuis peu a la France, ou la police ? la plus adroit ? serait impuissante à découvrir les gens qu’elle aurait mission de rechercher !