Page:Proust - La Prisonnière, tome 2.djvu/203

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et d’ailleurs poussé à préférer, par fierté, succomber plutôt que de céder, persévère dans sa menace jusqu’au moment où personne ne peut plus reculer. Le bluff peut aussi être mêlé à la sincérité, alterner avec elle, et il est possible que ce qui était un jeu hier devienne une réalité demain. Enfin il peut arriver aussi qu’un des adversaires soit réellement résolu à la guerre ; il se trouvait qu’Albertine, par exemple, eût l’intention, tôt ou tard, de ne plus continuer cette vie, ou, au contraire, que l’idée ne lui en fût jamais venue à l’esprit, et que mon imagination l’eût inventée de toutes pièces. Telles furent les différentes hypothèses que j’envisageai pendant qu’elle dormait, ce matin-là. Pourtant, quant à la dernière, je peux dire que je n’ai jamais, dans les temps qui suivirent, menacé Albertine de la quitter que pour répondre à une idée de mauvaise liberté d’elle, idée qu’elle ne m’exprimait pas, mais qui me semblait être impliquée par certains mécontentements mystérieux, par certaines paroles, certains gestes, dont cette idée était la seule explication possible et pour lesquels elle se refusait à m’en donner aucune. Encore, bien souvent, je les constatais sans faire aucune allusion à une séparation possible, espérant qu’ils provenaient d’une mauvaise humeur qui finirait ce jour-là. Mais celle-ci durait parfois sans rémission pendant des semaines entières, où Albertine semblait vouloir provoquer un conflit, comme s’il y avait à ce moment-là, dans une région plus ou moins éloignée, des plaisirs qu’elle savait, dont sa claustration chez moi la privait, et qui l’influençaient jusqu’à ce qu’ils eussent pris fin, comme ces modifications atmosphériques qui, jusqu’au coin de notre feu, agissent sur nos nerfs, même si elles se produisent aussi loin que les îles Baléares.

Ce matin-là, pendant qu’Albertine dormait et que j’essayais de deviner ce qui était caché en elle, je