Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/57

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firent pleuvoir sur moi une si grande multitude, qu’il ne me fut pas possible. J’avais le visage caché sous mon manteau, et il fallait voir avec quelle adresse ils m’ajustaient, me prenant pour un blanc. J’étais inondé de la tête aux pieds, lorsqu’un traître, voyant que je n’avais rien au visage, parce que je le tenais toujours sous mon manteau, accourut à moi, en disant d’un ton de colère : « En voilà assez ; ne le tuez pas ! » Comme je croyais qu’ils le feraient, à la manière dont ils y allaient, je me découvris le visage, pour voir de quoi il s’agissait, et à l’instant celui qui venait de parler me décocha et me plaça entre les deux yeux l’huître la plus nourrie. Qu’on juge de la peine que j’eus alors ! Ces enfants de l’enfer poussèrent de tels cris qu’ils m’étourdirent. Enfin ils déchargèrent sur moi si fort leurs estomacs, que je m’imaginai que pour se purger et épargner les frais de médecins et d’apothicaires, ils attendaient les nouveaux venus. Ils voulurent ensuite me donner des claques sur le cou, mais ils ne surent comment faire, sans se remplir les mains de l’huile dont était chargé mon manteau, qui ressemblait à un crachoir de vieillard, tant il était couvert de salive. Ils me laissèrent. Ainsi l’excès de leur méchanceté fut ce qui me sauva.

Je retournai à la maison, et ce ne fut pas sans peine que je parvins à y rentrer. Il fut même heureux pour moi que c’était le matin, car je ne rencontrai que deux ou trois polissons, qui devaient être bien intentionnés, puisqu’ils se contentèrent de me