Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/58

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lancer cinq à six anguillades avec leurs mouchoirs et qu’ensuite ils s’en allèrent. À mon retour à la maison, le Morisque, qui me vit, parut vouloir s’enfuir et me cracher au visage. Comme je craignais qu’il ne le fît, je lui dis : « Rassurez-vous, notre hôte, je ne suis pas l’Ecce Homo. » J’aurais bien mieux fait de m’être tu, car cela me valut deux livres de coups, qu’il me donna sur les épaules avec des pesons qu’il avait à la main. Ainsi gratifié et à demi perclus, je montai à l’appartement, où je fus assez longtemps à chercher par où prendre la soutane et le manteau. À la fin je réussis à les ôter, je les pendis sur une plate-forme, et je me jetai sur le lit.

Mon maître revint, et comme il me trouva endormi et qu’il ignorait mon aventure dégoûtante, il se fâcha et me tira si violemment par les cheveux, que deux secousses de plus je me réveillais chauve. Je me levai en poussant des cris et des plaintes, mais il me dit d’un air encore plus courroucé : « Voilà, Pablo, une plaisante manière de servir ! C’est ici une autre vie. » Quand j’entendis parler d’une autre vie, je crus être déjà mort. Je lui répondis : « Vous m’encouragez bien, Monsieur, dans mes travaux. Voyez dans quel état sont cette soutane et ce manteau, qui ont servi de mouchoir aux meilleures narines que l’on ait vues dans le temps de la semaine sainte. » En disant cela, je me mis à pleurer. Mes larmes furent persuasives et le touchèrent. Il chercha ma soutane, et lorsqu’il l’eût vue, il eut compassion de moi et me dit : « Pablo, ouvre l’œil, on rôtit de