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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

abord surprenante, ou parfois paradoxale. Et il est si peu nécessaire, ici de courir après le paradoxe, que, au contraire, quiconque écoutera docilement sa propre expérience, se sentira bien peu capable de faire un effort sérieux pour éviter de donner un air de paradoxe à ce qu’il sait être la vérité. En notre siècle, il n’y a personne qui ait besoin de chercher le paradoxe. Il suffit pour cela de s’en tenir à la vérité, et vous verrez le paradoxe se multiplier partout sous vos mains comme la mauvaise herbe. En effet, des vérités nouvelles et importantes sont rarement d’accord avec aucunes théories préconçues. En d’autres termes, elles ne peuvent s’expliquer par ces théories, qui, dès lors, sont insuffisantes, quand mêmes elles seraient vraies. Et il faut se mettre dans l’esprit qu’en toutes choses, le paradoxe n’est point ce qui, paraissant vrai, se trouve faux après examen, mais ce qui, paraissant faux, se trouve être vrai, quand on y a regardé de près.

Le plaisir dont j’ai parlé est propre à des scènes de ce genre, mais en cette occasion-là, j’eus quelque chose de plus. Voir « en personne » les gens dont vous avez entendu parler dans les journaux dès que, tout enfant, vous avez pu lire, ces gens qui jusqu’alors ont occupé une large place dans vos idées d’enfants, les voir aller et venir, les entendre parler comme des êtres réels, cela avait quelque chose d’étrange pendant la première demi-heure environ. Mais dès que cette impression commença à se dissiper, elle se dissipa par degrés rapides. Et après que ces premières émotions de surprise causée par la nouveauté se furent émoussées, il fallut reconnaître que les détails particuliers qui se rattachent à un bal royal n’étaient