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LA DOUBLE MAÎTRESSE

Le pavillon résonnait d’une musique grêle et stridente, saccadée et rauque, et M. Le Melier entamait son interminable répertoire. À minuit, d’instinct, il tirait de son gousset une grosse montre, la portait à son oreille et la faisait sonner. Elle tintait d’une sonnerie fine et lointaine, campagnarde, si l’on peut dire, comme si l’heure eût été apportée par le vent, rapetissée et minuscule, de quelque horloge de village, là-bas, dans la nuit.

Alors M. Le Melier rentrait à la maison, reprenait sa houppelande et ses galoches et s’en allait à grands pas après avoir bu un ou deux petits verres des liqueurs de Mme du Fresnay. On l’entendait un instant au dehors, puis le bruit cessait. Un grand silence se faisait et, peu après, l’aboi éloigné d’un chien, et M. du Fresnay disait : « Voici le chien de la ferme qui salue M. Le Melier ; il a tourné à la route. » Et, pendant que M. Le Melier arpentait la campagne glacée, M. du Fresnay prenait délicatement Julie endormie sur un fauteuil et la montait doucement à sa chambre où Mme du Fresnay la mettait au lit sans qu’elle se réveillât.

Julie donc se plaisait beaucoup au Fresnay. Mme du Fresnay prenait tous les soins imaginables et entre autres celui de la vêtir coquettement, à quoi la fillette n’était déjà pas insensible. Julie revenait chaque fois de Pont-aux-Belles avec des habits que la sévère Mme de Galandot lui faisait coudre à l’ancienne mode par ses deux vieilles servantes qui ignoraient complètement l’art d’en agrémenter l’étoffe commune et la forme surannée.