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LA DOUBLE MAÎTRESSE

et du printemps, il restait un peu d’eau dans le bassin. Le fond en était tapissé d’une mousse verte et chatouilleuse. Julie enjamba la margelle. Elle marchait dans l’eau avec précaution pour ne pas la troubler. D’une main elle tenait la couronne de roses et de l’autre la corbeille de pétales. Arrivée auprès du Triton, elle grimpa lestement sur le socle de rocaille. Le dieu marin se dressait verdâtre et musculeux. Son bras portait à sa bouche la conque torse. Il semblait rire, le buste hardi, les joues gonflées.

Julie posa sur la tête de la statue la couronne fleurie. La beauté des roses rajeunit le bronze sombre. À poignées, Mlle de Mausseuil jetait les pétales de la corbeille ; ils s’éparpillèrent et jonchèrent le fluide miroir, puis les feuilles dociles, prises aux mouvements secrets qui animent les ondes les plus stagnantes, se réunirent et, par leurs entrelacs, formèrent une arabesque mouvante. Comme le soir venait, il montait du bassin une odeur d’eau crépusculaire et de roses savoureuses, mais Nicolas de Galandot ne voyait que Julie qui, tenant le Triton par sa main de métal, se penchait sur le reflet de la double image où elle s’apercevait debout sur la croupe écailleuse du monstre qui semblait l’enlever, rieuse et demi-nue, au bruit muet de sa conque triomphale.