Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/423

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MM. de Créange et d’Oriocourt se mirent à rire en s’entre-regardant.

— « Vous ne pensiez pas dire si vrai, Mademoiselle, repartit M. de Créange, et récemment encore une aventure qui nous fut commune nous donna une preuve singulière de ce que vous avancez en plaisantant. Demandez à M. d’Oriocourt de vous raconter cette histoire. Elle vous divertira.

— D’autant plus que nous voilà au bon endroit, dit M. de Portebize. Asseyons-nous. »

Le jardin descendait doucement vers la Seine en pentes de pelouses. Le point de vue était soigneusement aménagé au naturel, à l’instar de ceux de Monceaux ou d’Ermenonville. Il n’y manquait ni le cours d’eau, ni le bosquet, ni l’ermitage, ni les ponts rustiques et, entre les arbres, on apercevait une colonnade en ruines, aux chapiteaux enguirlandés de lierre. La compagnie s’assit sur un banc circulaire, et M. d’Oriocourt commença son récit en ces termes.

— « Il faut vous dire, Mademoiselle, que notre régiment partit en manœuvre, il y a deux mois. Elles avaient pour but d’éprouver la solidité des recrues, la résistance des montures et le savoir des officiers ; aussi furent-elles dures et pénibles tant en exercices difficiles qu’en longues étapes. Tout de même elles prirent fin. Il ne restait plus qu’à s’en revenir, car nous nous étions fort éloignés de nos quartiers ordinaires. Le retour se fit à petites journées et l’une d’elles fut marquée par un grand orage qui nous trempa jusqu’aux os. Le tonnerre éclata avec une violence furieuse,