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tout quand cette langue est, de l’aveu des étrangers mêmes, le plus beau véhicule qu’ait eu la pensée humaine depuis les temps de la Grèce et de Rome.

C’est ici ou jamais qu’il faut de « l’intransigeance ». Et comme en pays ennemi les sentinelles d’une armée sont tenues à plus de circonspection et de vigilance dans le service des grand’gardes, ainsi la discipline littéraire doit être plus étroite encore au Canada qu’en France, si l’on veut y préserver la langue immortelle du « grand siècle » des envahissements et des empiétements de la langue voisine. Un alliage hybride serait pour elle la pire des calamités, et mieux vaudrait pour les Canadiens se mettre tout à fait à l’école des Anglais, pour tâcher d’apprendre d’eux les secrets de leur idiome, que de se contenter d’un anglo-français bâtard que renieraient également les compatriotes de Shakespeare et ceux de Corneille.

Mais nos amis du Canada sont sur leurs gardes et font soigneusement, surtout depuis quelques années, l’échenillage de leur langue. Les journaux mêmes, qui, à cause du caractère trop hâtif de leur rédaction et parce qu’ils dépendent des feuilles et des agences anglo-américaines pour mainte source d’informations, étaient trop souvent l’asile de graves incorrections et de choquants anglicismes, commencent à réagir contre cet abus et à exercer les uns sur les autres le contrôle d’une critique d’ailleurs courtoise et attique. À Montréal et à Québec on a fondé des sociétés, des instituts littéraires qui sont comme autant d’hôtels de Rambouillet où se discutent doctement et amicalement des questions de correction et d’élégance littéraires. La plupart des paroisses ont des bibliothèques publiques où se trouvent rassemblés tout au moins les ouvrages de nos écrivains classiques. Le beau succès qu’a obtenu un poète canadien, M. L.-H. Fréchette, qui a remporté, il y a quelques années, le prix de poésie au concours annuel ouvert par l’Académie française, a très heureusement encouragé les jeunes auteurs et stimulé leur effort