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nono

Renée goûta le pâté en souriant, et but quelques gouttes de malaga.

— Je me sens mieux malgré la lourdeur de ma tête…, je ne vous dirai pas, monsieur, que je ne veux pas abuser de votre charmante hospitalité, et que vous dépensez, en ce moment, une éloquence précieuse à vos électeurs. Mais, je m’adresse au docteur. Puis-je me lever ?

— Non, mademoiselle ; Largess va faire atteler la calèche, et, en attendant, je vous engage à vous reposer encore un peu. »

Renée se laissa retomber doucement sur les coussins moelleux. Cette brusque transition d’une mort horrible à une vie luxueuse la ranimait, et elle ne se pressait plus de penser, elle dont la pensée veillait toujours.

— Étant rassemblés mille auditeurs, poursuivit le duc d’un ton gourmé, je monte à la tribune, qui se compose d’une ancienne chaire protestante et d’un escabeau d’école catholique :

« Messieurs, leur dis-je, les royalistes sont nommés légitimistes, parce que leur parti est le seul légitime ! Légitime… un mot vaste… »

Sur mille électeurs, six cents dorment, quatre cents vont dormir, et puisque vous seule veillez, je continue.

(Ici le duc changea d’inflexion et avec un timbre merveilleux, il continua :)

Regrettez-vous le temps où le ciel sur la terre
Marchait et respirait dans un peuple de dieux,