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Elle descendit un escalier monumental, soutenue par la grosse femme, et trouva le duc sur le perron. Tous les ouvriers avaient disparu comme disparaissent, au théâtre, les acteurs devenus inutiles. Le microscopique Largess tenait en main les rênes de deux trotteurs superbes.

— Pour qui la carte blanche ? interrogea gaîment Mlle Fayor.

— Eh ! mademoiselle, je suis forcé d’agir d’une façon ténébreuse, toujours à cause du parti. Je vous répète que la fatalité veut que j’aie failli me battre avec monsieur votre père. Je ne peux pas lui rendre ouvertement sa fille. Ce serait devenir la cible du Comité. Comprenez-vous ? Hélas ! je dois vous paraître d’un ridicule ! Les méridionaux à imagination fertile m’accuseraient d’avoir attiré par sortilège ce pauvre Mélibar… un philtre mêlé à sa provende ! Et j’aurais sauvé la fille du général pour le convertir… Que sais-je, moi. »

Le duc, dans une situation en effet assez difficile, finit par se troubler comme un écolier sous les yeux de Mlle Fayor. Alors, elle lui prit les mains affectueusement :

— C’est-à-dire, monsieur le duc, que vous ne voulez pas faire des avances à un ennemi… Je comprends, car toutes les délicatesses de l’orgueil me sont familières !

— Il fut flatté de cette communauté de hauteur mondaine, et la mit en voiture avec un regret profond d’être condamné au royalisme le plus pur.