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livre relié. Tous ceux qui entraient tendaient machinalement le cou pour apercevoir le titre de ce livre et ceux qui l’avaient vu se demandaient quel rapport pouvaient avoir les Choses et les Hommes de 70 avec l’élection du général Fayor.

L’auteur du livre fit son entrée au moment précis où une horloge lointaine envoyait dix coups à travers l’espace. Le général descendait de cheval. Il portait de vastes écuyères vernies, éperonnées, un pantalon presque collant et un veston serré, fleuri d’écarlate à la boutonnière gauche. En bourgeois, il sied mal de mettre ses croix, aussi le général était-il de mauvaise humeur.

Son chapeau crânement incliné et les yeux qu’il roulait firent ranger la réunion au port d’armes. On se tut. Les fronts se découvrirent, le général toussa. L’instant devenait solennel.

Le discours fut plutôt un ordre du jour qu’une profession de foi. M. Fayor parlait vite, d’un ton étranglé d’abord, provocant ensuite. À mesure que ses phrases s’éclaircissaient, le contraire avait lieu dans les rangs de l’auditoire, car on sortait maintenant de la messe de dix heures et les paroissiens montaient à la grange, autant par désœuvrement que par conviction. S’adressant à des méridionaux, méridional lui-même, il ne lui était pas difficile, à l’orateur, de chauffer l’enthousiasme. Le soleil grisant, qui entrait librement, et la bonne odeur de moisson répandue dans la grange, donnait des pétillements aux yeux et aux cervelles. Les doigts claquaient comme des casta-