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nono

Le pharmacien-époux, venu avec son beau-père, y était aussi ; des êtres morts pour Nono. Que lui importait ? Et des contractions douloureuses crispaient le profil du jeune homme, son profil triste que baignait le ciel chaud. N’était-il pas seul dans la vie ? N’avait-il pas goûté au poison de la jalousie avant d’être heureux ?

Il revoyait cette créature terrible, Renée, belle, aimée, et souriant à un autre. Pas une larme !… Non, il ne savait plus pleurer depuis que sa première souffrance l’avait tenaillé. Il n’aurait pu pleurer que s’il avait été jeté, brusquement, dans une joie folle :

Mais une fatalité pesait sur lui. Renée jouait avec lui, non pas pour l’aimer, mais pour se distraire !…

Nono avait une mère, une sœur ! Elles vivaient par lui. Les bacheliers connaissent tous les théories des devoirs humains, Nono mettait ces théories en pratique, non parce qu’il était bachelier, mais parce qu’il était bon.

Nono laissa tomber son front sur sa poitrine.

— J’en mourrai, pensa-t-il, mais je ne veux mourir que le jour où elle épousera ce duc. Je veux les avoir vu passer tous les deux dans l’église où l’on m’a baptisé. Que je suis malheureux et qu’ils sont privilégiés ceux qui écrivent des livres à propos des Choses et des Hommes de 70 ! »

Le jeune homme s’étendit au bord du chaume, mit les coudes en croix et se laissa dévorer la nuque par les morsures du soleil, volupté qui lui rappelait bien des ivresses…