Page:Rachilde - Nono, 1885.djvu/36

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
28
nono

— Décidément, vous vous gardez bien ici, dit le jeune homme impatienté ; des murs, des grilles, des chiens ! J’ai cru laisser ma peau avec l’étoffe, tout à l’heure.

Renée saisit Bell au collier et leva l’index, Bell s’aplatit. Cela suffisait. Du moment que l’homme était de son monde elle ne grognerait plus.

L’homme regardait Renée ; on n’apercevait pas la nuance de ses yeux, cependant on eût juré qu’il avait la prunelle fuyante. Son front était bas, soigneusement coiffé de cheveux châtains. Deux petites rides tiraient le coin des paupières, et sous la moustache châtain d’un tour cherché, le sourire avait une expression triomphante.

— Comment êtes-vous entré ? demanda Renée, hautaine.

— Eh ! ma chère, vous êtes étonnante ; je suis entré en passant par les dents aiguës de vos fers de lance. Jolie armée que vous avez là ! J’ai déchiré, non pas mon pantalon, ce qui serait un effet trop Palais-Royal pour un amoureux, mais mon manteau. J’arrive de Montpellier, à pied… je suis brisé, moulu, affolé. »

Il ne paraissait ni brisé, ni moulu, ni surtout affolé, mais très comédien dans son calme ironique.

Renée montra, de son index encore levé sur l’épagneule, la noire façade de Tourtoiranne.

— Vous savez, Victorien, là dort mon père ; une simple exclamation peut faire ouvrir ses fenêtres, et alors…