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son bras autour de la ceinture du prisonnier, releva doucement le buste incliné puis, dans son pardessus de fourrure, il chercha son flacon dont le seul étui d’or fleuronné offert au geôlier aurait peut-être suffi pour assurer la fuite de Bruno, et le lui fit respirer, tandis que ses doigts avaient des crispations nerveuses. Nono rouvrit les yeux, repoussa le flacon et hocha la tête comme une bête assommée.

— Ah ! dit-il d’un ton sourd, elle a tué Victorien Barthelme !…

— Oui, répondit le duc presque affable, elle l’a tué. Puisque je suis venu, je peux vous apprendre le reste. C’était son amant ! Lasse de lui, elle s’en est débarrassée. Les enfants brisent leur jouet, cela est bien naturel. Et ensuite elle vous a trompé pour un autre… quand vous l’adoriez, pauvre fou, à l’égale d’une vierge, elle qui n’a ni cœur ni entrailles. Maintenant, au lieu de vous briser elle-même, elle vous fait briser… c’est plus simple et surtout plus commode pour une grande dame ! Voilà ce qui est vrai, Bruno, vous pouvez le déclarer… »

Le prisonnier avait les mains jointes.

— Il ne fallait point me le dire… je ne voulais pas le savoir !… râla-t-il ; puis ses prunelles lancèrent une flamme. Vous me trompez… je crois que je vais vous étrangler avant qu’elle vienne !… ajouta-t-il saisi d’une colère affreuse.

Le duc prit ses mains d’hercule dans ses doigts délicats.

— Enfant, dit-il, j’ai l’âge d’être votre père et j’ai