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nono

j’avais oublié la malédiction qui me poursuit !… Tu m’accuses d’avoir tardé… C’est vrai… mais j’avais là bas des gens qui m’attachaient à mon lit. Les portes étaient garnies de verroux et les fenêtres étaient clouées… Leurs remèdes contre ma folie… Non… non… je ne suis pas folle… Je me suis sauvée, je ne me rappelle plus comment… j’ai été trouver Mme Chauvol… d’abord… Lilie… elle avait brûlé tes lettres… l’infâme ! Ce matin, je me suis cachée trois heures dans un champ, derrière une haie, n’osant pas remuer, car il avait mis ma chienne à ma poursuite… j’entends ses hurlements, je les entendrai toujours… je me sentais capable de la déchirer en morceaux si elle m’avait trouvée !… J’ai gagné la ville ne sachant pas le chemin et je serais bien allée chez ta mère, mais j’avais peur d’elle. Je me suis reposée sur un banc de la promenade. Dès que la nuit est tombée, j’ai cherché la prison… je l’ai trouvée… je te sentais de loin, je savais que tu m’attendais… à présent… à présent… »

Elle se pelotonna aux pieds du jeune homme, mettant sa joue blanche comme une cire sur ses larges mains, et frottant ses cheveux d’or contre sa peau.

— … À présent, Nono, je suis ton esclave, ton bien, ta maîtresse… Renée n’est plus belle, son visage est flétri par le mal… pourtant son amour est si beau !… Quand on pense qu’ils m’ont donné une heure pour rester ici… et nous aurons toute la nuit, n’est-ce pas… tu voudras bien passer avec moi ma première nuit de prison ? »