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presque fermés, retenant son souffle, de plus en plus inquiet. Une jeune femme traversa toute la pièce, pareille à un véritable fantôme. Elle était vêtue d’un peignoir de cachemire blanc garni de dentelles neigeuses, ses cheveux se déroulaient dans un filet de soie rouge retenu par un ruban noué de même nuance. Elle avait une démarche si souple qu’elle paraissait ne pas toucher les planches. Elle alla s’asseoir en face de la table où brillait la bougie. Bruno faillit se dresser d’épouvante : il avait reconnu Renée, la fille du général Fayor !

Elle regarda le lit, semblant très habituée au sommeil de son hôte, puis elle eut un sourire, comme jamais Nono n’en avait vu. Elle ouvrit tranquillement le tiroir, vérifia le contenu de l’écrin, prit la lettre commencée et la lut en souriant toujours. Par instants, elle haussait les épaules avec son geste familier, puis elle se remettait à la lecture, le regard humide derrière ses cils vermeils ; montrant des dents éblouissantes comme les perles du collier, entre ses lèvres railleuses. Puis le petit pli de son front se creusait, ses sourcils se rapprochaient, elle froissait le papier, tressaillant malgré elle.

Ce qui se passa dans le cerveau de Bruno pourrait difficilement s’analyser. Il avait entendu quelquefois des histoires de somnambules tirant la bonne aventure et vous racontant des choses étonnantes, et aussi des gens qui se lèvent la nuit, en dormant, et vont courir sur les toits. Mais ces gens-là ont les yeux fixes, marchent comme des mécani-