Page:Reclus - Correspondance, tome 1.djvu/143

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qu’il entrait un peu de ma vie dans cet éclair qui me brûlait les yeux. Il faut vraiment que je sois bien petit et que vous soyez bien loin de moi pour que ces balivernes m’amusent. J’avais l’intention, pour vous faire du premier pas pénétrer dans le vrai Nouveau Monde, d’aller avec vous par terre de Sainte-Marthe à Riohacha en traversant les forêts, les torrents et les défilés, nous nous serions ainsi familiarisés davantage avec la nature jeune et sauvage ; mais le jeune héritier vient nous dire d’être sages, et nous le serons, Noémi, ne crains rien. D’abord, la moitié du chemin peut se faire en chaloupe et, comme vous me promettez de partir dans un, deux, trois ou quatre mois, vous arriverez pendant la saison des sécheresses, alors que les marais n’existent plus et que les gaves ont tout au plus quelques gouttes d’eau. De tous ceux que je vois revenir de la sierre, aucun ne revient aussi maltraité que moi, et cela parce qu’aucun ne se met en tête de grimper sur les cocotiers pour abattre des noix, ou de chercher un sentier dans les marécages ou de perdre sa chaussure dans un torrent et d’aller pieds nus à travers les épines et les rochers. Certes le chemin de la Sierre est bien plus sûr que la rue de Rivoli et, cependant, tu ne crains point, Noémi, de t’aventurer dans cette rue dangereuse.

Ainsi, je suppose que nous sommes déjà installés dans cette charmante et heureuse vallée de Caracasaca ; il ne vous reste plus qu’à connaître vos commensaux. D’abord, c’est le vieux Chassaigne avec ses qualités et ses défauts de vieillard aimant à contredire, se disant très ignorant pour avoir le droit de vous assommer avec ce qu’il peut savoir, mais au fond vraiment bon et sincère. Il faut avoir la peau chatouilleuse comme je l’ai parfois pour ressentir les coups d’épingles ; quant