Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/351

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simples sont les plus heureux est-ce une raison pour ne pas s’élever ? Oui, ces pauvres gens seront plus malheureux, quand leurs yeux seront ouverts. Mais il ne s’agit pas d’être heureux, il s’agit d’être parfait. Ils ont droit comme les autres à la noble souffrance. Songez donc qu’il s’agit de la vraie religion, de la seule chose sérieuse et sainte.

Je comprends la plus radicale divergence sur les meilleurs moyens pour opérer le plus grand bien de l’humanité ; mais je ne comprends pas que des âmes honnêtes diffèrent sur le but, et substituent des fins égoïstes à la grande fin divine : perfection et vie pour tous. Sur cette première question, il n’y a que deux classes d’hommes : les hommes honnêtes qui se subordonnent à la grande fin sociale, et les hommes immoraux qui veulent jouir et se soucient peu que ce soit aux dépens des autres. S’il était vrai que l’humanité fût constituée de telle sorte qu’il n’y eût rien à faire pour le bien généra !, s’il était vrai que la politique consistât à étouffer les cris des malheureux et à se croiser les bras sur des maux irrémédiables, rien ne pourrait décider les belles âmes à supporter la vie. Si le monde était fait comme cela, il faudrait maudire Dieu et puis se suicider.

Il ne suffit pas pour le progrès de l’esprit humain que quelques penseurs isolés arrivent des points de vue fort avancés, et que quelques têtes s’élèvent comme des folles avoines au-dessus du niveau commun. Que sert telle magnifique découverte, si tout au plus une centaine de personnes en profitent ? En quoi l’humanité est-elle plus avancée, si sept ou huit personnes ont aperçu la haute raison des choses ? Un résultat n’est acquis que quand il est entré dans la grande circulation. Or les résultats de la haute science ne sont pas de ceux qu’il suffit d’énoncer. Il faut