Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/445

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effet l’épithète classique d’amis de la paix. L’histoire démontre, au contraire, que le mouvement, la guerre, les alarmes sont le vrai milieu où l’humanité se développe, que le génie ne végète puissamment que sous l’orage, et que toutes les grandes créations de la pensée sont apparues dans des situations troublées. De tous les siècles, le xvie est sans doute celui où l’esprit humain a déployé le plus d’énergie et d’activité en tous sens c’est le siècle créateur par excellence. La règle lui manque, il est vrai : c’est un taillis épais et luxuriant, où l’art n’a point encore dessiné des allées. Mais quelle fécondité ! Quel siècle que celui de Luther et de Raphaël, de Michel-Ange et de l’Arioste, de Montaigne et d’Érasme, de Galilée et de Copernic, de Cardan et de Vanini ! Tout s’y fonde : philologie, mathématiques, astronomie, sciences physiques, philosophies. Eh bien ! ce siècle admirable, où se constitue définitivement l’esprit moderne, est le siècle de la lutte de tous contre tous luttes religieuses, luttes politiques, luttes littéraires, luttes scientifiques. Cette Italie, qui devançait alors l’Europe dans les voies de la civilisation, était le théâtre de guerres barbares, telles que l’avenir, il faut l’espérer, n’en verra plus. Le sac de Rome ne troublait pas le pinceau de Michel-Ange ; orphelin à six ans, mutilé à Brescia, Tartaglia devinait seul les mathématiques. Il n’y a que les rhéteurs qui puissent préférer l’œuvre calme et artificielle de l’écrivain à l’œuvre brûlante et vraie qui fut un acte, et apparut à son jour comme le cri spontané d’une âme héroïque ou passionnée. Eschyle avait été soldat de Salamine, avant d’en être le poète. Ce fut dans les camps et au milieu des hasards d’une vie aventureuse que Descartes médita sa méthode. Dante aurait-il composé au sein d’un studieux loisir ces chants,