Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/446

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les plus originaux d’une période de dix siècles Les souffrances du poète, ses colères, ses passions, son exil ne sont-ils pas une moitié du poème ? Ne sent-on pas dans Milton le blessé des luttes politiques ? Chateaubriand aurait-il été ce qu’il est, si le xixe siècle eût continué de plain-pied le xviiie ?

L’état habituel d’Athènes, c’était la terreur. Jamais mœurs politiques ne furent plus violentes, jamais la sécurité des personnes ne fut moindre. L’ennemi était toujours à dix lieues ; tous les ans on le voyait paraître, tous les ans il fallait aller guerroyer contre lui. Et à l’intérieur, quelle série interminable de péripéties et de révolutions ! Aujourd’hui exilé, demain vendu comme esclave, ou condamné à boire la ciguë ; puis regretté, honoré comme un dieu, exposé tous les jours à se voir traduit à la barre du plus impitoyable tribunal révolutionnaire, l’Athénien qui, au milieu de cette vie accidentée à l’infini, n’était jamais sûr du lendemain, produisait avec une spontanéité qui nous étonne. Concevons-nous que le Parthénon et les Propylées, les statues de Phidias, les Dialogues de Platon, les sanglantes satires d’Aristophane aient été l’œuvre d’une époque fort ressemblante à 1793, d’un état politique qui entraînait, proportion gardée, plus de morts violentes que notre première révolution à son paroxysme ? Où est dans ces chefs-d’œuvre la trace de la terreur ? Je ne sais quelle timidité s’est emparée chez nous des esprits. Sitôt que le moindre nuage parait à l’horizon, chacun se renferme, se flétrit sous la peur « Que faire en des temps comme ceux-ci ? Il faudrait de la sécurité. On n’a goût a rien produire, quand tout est mis en question. » Mais songez donc que, depuis le commencement du monde, tout est ainsi en question,