Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/453

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le révélatrice des grandes choses. L’ordre est une fin, non un commencement.

Cela est si vrai que les institutions portent leurs plus beaux fruits, avant qu’elles soient devenues trop officielles. Il faudrait être bien naïf pour croire que, depuis qu’il y a une conférence du quai d’Orsay, il y aura de plus grands orateurs politiques. La première École Normale était certes moins réglée que la nôtre, et n’avait pas de maîtres comparables à ceux d’aujourd’hui. Et pourtant elle a produit une admirable génération ; et la nôtre, qu’a-t-elle produit ? Une institution n’a sa force que quand elle correspond au besoin vrai et actuellement senti qui l’a fait établir. Au premier moment, elle est en apparence imparfaite, et on s’imagine trop facilement que, quand viendra la période de calme et d’organisation paisible, elle produira des merveilles. Erreur ! les petits perfectionnements gâtent l’œuvre ; la force native disparaît ; tout se pétrifie. Les règlements officiels ne donnent pas la vie, et je suis convaincu pour ma part qu’une éducation comme la nôtre aura toujours les défauts qu’on lui reproche, le mécanisme, l’artificiel. La prétention du règlement est de suppléer à l’âme, de faire avec des hommes sans dévouement et sans morale ce qu’on ferait avec des hommes dévoués et religieux : tentative impossible ; on ne simule pas la vie ; des rouages si bien combinés qu’ils soient ne feront jamais qu’un automate. Ce mal ne se corrige pas par des règlements, puisque le mal est précisément le règlement lui-même. La règle existait bien à l’origine, mais vivifiée par l’esprit, à peu près comme les cérémonies chrétiennes, devenues pure série de mouvements réglés, étaient dans l’origine vraies et sincères. Quelle différence entre chanter un bout de latin qu’on appelle l’Épître et lire en société la correspondance des