Page:Reval - La cruche cassee.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Les bois sentent bon. Dans l’allée où madame Robert attend, assise sur l’herbe, son journal ouvert sur les genoux, les mains soigneusement gantées et le visage tout encapuchonné dans une « hâlette » de mousseline blanche, l’odeur fraîche voltige au ras de la terre. Le moindre coup de vent, le vol d’un oiseau, lui envoient par bouffées le parfum des muguets, et bien que son âme demeure indifférente devant le charme des arbres et des coteaux qui enveloppent Gondreville, elle ne peut s’empêcher de répéter avec satisfaction :

— Quelle fraîcheur… qu’il fait bon dans ce pays !… Allons, j’ai été bien inspirée de venir dans ce petit trou ; les riches propriétaires ne manquent pas, je caserai Aline très facilement ; quant à Suzie, j’ai le temps d’y songer ; mais pour mon aînée, il faut poser des jalons. Dimanche prochain, je déciderai le capitaine a faire une visite au maître de forges ; peut-être nous invitera-t-il à déjeuner le dimanche suivant, avec monsieur le curé ou le docteur Vimart.

Assise à l’ombre et rassurée par le voisinage de ses filles, madame Robert reprend la lecture passionnante tic son feuilleton.

Là-bas, dans le taillis, Aline et Suzanne continuent la cueillette commencée, partout, des grelots blancs ; ici, où le soleil glisse, le muguet commence à jaunir, et sa chair pulpeuse se borde d’un mince liséré d’or ; plus loin, il est encore mystérieusement enfermé dans son cornet de verdure ; ailleurs, l’enveloppe crève et la fleur jaillie, reste posée comme un papillon immobile. Une nappe blanche s’étend sous les buissons, les doigts infatigables d’Aline ramassent les fleurettes neigeuses ; Suzie, un peu lasse, pétrit son bouquet et