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Sur la valeur qu’on peut attribuer à ces textes chinois classiques, les divergences entre spécialistes sont malheureusement beaucoup plus grandes. On sait, en effet, qu’au IIIe siècle A. C., les textes existants de ces ouvrages furent détruits par ordre de l’Empereur Che-hoang-ti (exception faite pour l’Y-King, épargné comme d’une façon générale les ouvrages de science, de magie, de technologie, relatifs à l’astronomie, à l’art agronomique, etc.). Ils furent reconstitués sous les Han, en partie de mémoire, en partie au moyen de rares exemplaires retrouvés dans des conditions assez suspectes. Or, déjà certains de ces ouvrages, d’après la tradition chinoise, résultaient d’une sélection faite par Confucius entre des documents plus anciens et beaucoup plus nombreux. Les confucéens du temps des Han ont pu altérer davantage encore les textes qu’ils reconstituaient, afin de conformer l’image des temps anciens à l’idéal, soi-disant traditionnel, au ruel ils proposaient à leurs contemporains de revenir.

Si nous considérons les cinq ou six ouvrages d’ensemble les plus récents qui ont fait usage de ces textes, nous apercevrons aussitôt qu’ils leur accordent une confiance très inégale. Henri Maspero (La Chine antique, 1927) ne croit guère pouvoir reconstituer les événements historiques qu’à partir du VIIIe siècle A. C. Marcel Granet (La Civilisation chinoise, 1929) considère même une reconstitution précise de ce genre comme chimérique avant l’époque des Han (fin du IIIe siècle A. C.) et ne croit pouvoir tirer des textes que des tableaux généraux de l’état social et des mœurs (paysannes, puis féodales, etc.). Richard Wilhelm (auquel on doit des traductions allemandes des principaux ouvrages classiques chinois, notamment de l’Y-King, des principaux ouvrages taoïstes, etc.) admet dans son Histoire de la Civilisation chinoise (trad. française, 1931) que l’on peut tirer de ces textes des tableaux généraux assez complets de la civilisation chinoise de l’époque préhistorique et de celle de l’époque des Tcheou : Forke (Die Gedankenwelt des chinesischen Kulturkreises, 1927 ; et The world conception of the Chinese. Their astronomical and physico-philosophical speculations, 1925) juge, lui aussi, comme Léon Wieger (Histoire des Croyances religieuses et des Opinions philosophiques en Chine, 1922 ; et diverses traductions), que ces textes anciens renferment de nombreux matériaux utilisables.

Il semble que ce soit le cas, si d’abord on se rappelle le respect profond et sincère des érudits chinois pour leur tradition, qui a dû les empêcher d’altérer les textes au delà d’un certain degré ; si, ensuite, on se borne à envisager, comme je veux le faire ici, certaines idées et certaines croyances, à l’exclusion des événements politiques ; si, enfin, on tient compte de ce que les témoignages des textes sont bien souvent en désaccord, quand on les analyse, avec l’idéal moral et social des lettrés confucéens du IIe siècle A. C., idéal que ceux-ci auraient voulu reporter dans le passé, pour en accroître le prestige. (Marcel Granet et H. Maspero ont, d’ailleurs, pour l’une ou l’autre de ces raisons, fait état de ces textes sur bien des points.)

Bien que je ne connaisse les textes chinois qu’à travers les traductions européennes, et sans me dissimuler ce que mon entreprise a de téméraire, je