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relle. Il lui manquait encore une bibliothèque ; mais le même zèle qui avait déjà opéré des prodiges dans d’autres occasions devait en produire ici de nouveaux. On avait environ neuf mille volumes, dont un M. de Bulow avait fait un legs en mourant. Le gouvernement en ajouta deux mille deux cents ; on en trouva sept cent quatre-vingts dans la bibliothèque du gymnase, et tout cela réuni forma la première base. On en appela à la générosité des nobles et des professeurs ; on préleva sur la taxe payée par les étudians un fonds particulier pour acheter des livres ; on imposa aux professeurs et aux libraires l’obligation de remettre à cette bibliothèque un exemplaire de chacun des livres qu’ils publieraient. Puis il arriva une foule de dons gratuits de la Saxe, de la Prusse, de l’Angleterre et de la France même, qui s’empressaient d’enrichir cette jeune université, comme les bonnes fées d’autrefois apportaient leurs présens au berceau d’un enfant. À mesure que les dons se multipliaient, on se hâtait d’élaguer les exemplaires doubles, et de les vendre pour acheter les ouvrages essentiels qui manquaient encore. Il y avait dans cette administration un dévouement entier, un ordre admirable qui devait en peu de temps servir à tripler ses richesses. En 1765, cette bibliothèque, formée d’un si petit noyau, comptait déjà soixante mille volumes. En 1789, elle en avait cent vingt mille ; en 1802, deux cent mille. Aujourd’hui, elle en compte plus de trois cent mille. C’est la première bibliothèque de l’Allemagne. Outre une grande quantité de manuscrits précieux, de livres rares des premiers temps de l’imprimerie, ou d’éditions classiques, elle renferme une collection très nombreuse d’ouvrages de mathématiques et de sciences positives, et une foule de documens historiques qui n’existe peut-être nulle part en Allemagne aussi complète. Les Anglais ont été forcés de reconnaître que Goettingue possédait, sur l’histoire particulière de leurs comtés et de leurs provinces, plus de sources authentiques, de livres rares que l’Angleterre même. Cette bibliothèque est établie en partie dans une grande église disposée avec un tact parfait. C’est le coup-d’œil le plus imposant que j’aie jamais vu, et peut-être la plus belle salle de bibliothèque qui existe. Les livres ne sont point entassés rayon sur rayon contre les murailles, mais placés sur des tablettes qui partagent symétriquement la salle, et rangés dans un tel ordre, que pour trouver l’ouvrage qu’on leur demande, les bibliothécaires n’ont jamais besoin d’avoir recours au catalogue. Ils maintiennent sans doute cet avantage, en se chargeant eux-mêmes de tout le travail de placement et de déplacement en n’employant jamais le secours d’aucun domestique. Ce qui est surtout admirable à observer dans cette bibliothèque, c’est la libéralité, et en même temps l’esprit d’ordre avec lequel elle fait usage de ses richesses.