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ALGER.

pect que nous lui témoignerions leur inspirerait une profonde reconnaissance : l’attitude des populations musulmanes soumises à la Russie témoigne ce que nous pourrions à cet égard attendre des nôtres. Mais ce ne serait point assez, et il faut faire concourir à la consolidation de notre établissement tous les préjugés comme tous les intérêts du pays.

C’est pour les musulmans un point de dogme que le califat est l’empire de la terre. Le sultan prend le titre de distributeur des couronnes, et les Kabaïls de l’Atlas, les Arabes des plaines, sont sincèrement convaincus que si nous possédons Paris et Marseille, c’est qu’il nous en a fait don. Tant qu’Alger ne nous aura pas été concédé par lui[1], une politique ennemie pourra, dans un moment de crise, soulever contre nous le fanatisme religieux des indigènes. Le cardinal de Lorraine et Richelieu, qui, les premiers, dirigèrent leurs vues politiques vers les côtés de la régence, ne laissèrent pas une arme si dangereuse à la disposition de nos ennemis, et en 1624, le grand cardinal fit ratifier par Amurat iv la concession de Selim ii. C’est ainsi que notre établissement a été légitimé aux yeux des habitans de la province de Bône, et qu’il n’a jamais été compromis que momentanément et par notre faute. Un traité plus étendu ne serait sans doute pas impossible à conclure aujourd’hui : nos armes n’ont enlevé au sultan que le plaisir assez innocent de garnir, sur l’almanach de sa cour, son pachalick d’Alger du nom d’un dey sur le choix duquel il n’avait pas la moindre action, et il serait facile d’intéresser ses sentiments religieux à la régularisation de notre possession. En effet, les biens habous et ana[2] sont nom-

  1. Constantinople a son almanach impérial, et le pachalick d’Alger a continué à y être porté au nombre des possessions du sultan ; seulement, le nom du pacha y reste en blanc. Achmet, bey de Constantine, a, depuis notre occupation, soulevé les populations à l’aide d’un prétendu firman qui lui accordait l’investiture du gouvernement d’Alger.
  2. Les biens habous sont des espèces de majorats réversibles, après l’extinction de la famille ou de la lignée, à la Mecque ou à des établissemens religieux ou publics. Cette substitution protégeait les biens qui en sont grevés contre les spoliations et les avanies de l’autorité : ils peuvent, dans certains cas, et sur l’autorisation du cadi être cédés en échange d’une rente qui est alors sujette à réver-