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treprise vient d’être tentée pour la peinture. Elle a réussi. Voilà toute une école qui va se révéler à nous ; plus tard, la poésie aura son tour, sans doute, et peut-être aussi la musique. Qui sait ?

Ce qu’il faut admirer franchement dans cette entreprise, c’est la générosité toute royale qui l’a commandée et le courage avec lequel elle a été menée à fin. En effet, pour peu qu’on y réfléchisse, on verra que les temps semblaient moins que jamais venus d’une pareille conquête, et, sans s’exagérer les difficultés, il était permis de croire que l’occasion se ferait attendre encore ; car si, d’une part, l’état de dénuement dans lequel les deux partis aux prises depuis tantôt cinq ans entretiennent l’Espagne, favorisait cette tentative ; de l’autre, le transport devenait de plus en plus dangereux à travers des chemins infestés par toutes sortes de bandes ennemies. Enlever à prix d’or une peinture de maître aux murs croulans d’un cloître, où les injures de l’air luttaient contre elle avec les injures du temps, pour la faire tomber, après bien des allées et des venues, entre les mains de Gomez ou de Cabrera, c’eût été, il faut l’avouer, un triste avantage pour le chef-d’œuvre. Quant il s’agit de peinture, le sabre d’un chef de bande vaut bien la faux du temps. N’importe, une volonté éclairée et toute puissante, celle qui dispose des fonds de la liste civile, s’est mise à la tête de l’entreprise, et grace à l’habileté singulière de deux artistes pleins de courage et de persévérance, un nouveau musée va s’ouvrir au Louvre dans quelques jours : le musée espagnol. Pour ma part, je ne sais pas de sensation plus complète que celle qui vous prend en face d’un art qui vous apparaît tout entier avec ses formes imprévues, ses couleurs étranges, ses harmonies ; c’est comme une seconde révélation de la lumière et de la voix ; on respire des parfums inconnus ; on entend des bruits inouis ; il semble qu’on assiste à une fête du printemps, d’un printemps qui n’est pas de ce monde. Il y a dans cette jouissance quelque chose de divin, et c’est ce qui fait que j’applaudis de toutes mes forces à la pensée qui vient de produire le musée espagnol ; pensée généreuse, d’ailleurs, et dont l’Espagne doit se réjouir au moins autant que la France. En effet, à ces magnifiques peintures, hier encore en butte à tous les outrages des hommes et de l’air, nous allons donner le Louvre pour demeure ; c’est du fond de cet asile inviolable que les chefs-d’œuvre immortels feront désormais rayonner sur leur patrie la gloire qui lui appartient. Quant aux grands maîtres,