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LETTRES SUR L’ÉGYPTE.

L’invention des bateaux à vapeur et des chemins de fer a prodigieusement transformé le système des communications humaines. Ce puissant moyen de locomotion, qui ne fut d’abord appliqué qu’à de petites distances, tend aujourd’hui à devenir général, et à être employé au parcours des plus grandes lignes du globe. Pendant que la France est occupée de ses débats intérieurs, l’Angleterre, plus cosmopolite, songe activement à appliquer la vapeur au rétablissement de la ligne commerciale d’Orient, traduction matérielle de la régénération de ces contrées célèbres, et de leur union définitive avec les nations occidentales.

Entre l’Inde et l’Europe, il y a quatre routes différentes. La première, par l’Indus, l’Oxus, la mer Caspienne et la mer Noire ; la seconde, par le golfe Persique, le Tigre, l’Euphrate et l’Oronte ; la troisième, par la mer Rouge et l’isthme de Suez ; la quatrième, par le Cap de Bonne-Espérance. La première est celle du commerce de Constantinople, celle que suit la Russie pour aller dans l’Inde. La seconde ne sert guère qu’à la Perse, à la Syrie et l’Asie Mineure. La troisième route est entièrement abandonnée, mais elle était la plus fréquentée dans l’antiquité et dans le moyen-âge. La quatrième est aujourd’hui à peu près la seule qui soit suivie par toutes les nations de l’Europe.

De ces quatre routes, celle qui convient le mieux pour l’établissement d’une ligne de vapeur, c’est évidemment la troisième. C’est la plus courte et la plus commode, non seulement pour l’Allemagne, l’Italie, la France, l’Espagne, l’Angleterre et la Hollande, mais encore pour la Russie, qui a aujourd’hui des ports et une marine sur la mer Noire. La route de l’Indus est trop orientale, et offre de trop grands intervalles de terre. La route de l’Euphrate, outre qu’elle est plus longue que celle de la mer Rouge, exigerait un canal de jonction, entre l’Oronte et l’Euphrate ; et les Anglais, qui l’avaient destinée à recevoir une ligne de vapeur, ont constaté, par l’insuccès de leur tentative, que Suez est la véritable voie sur laquelle il faut appeler l’attention générale des peuples occidentaux pour l’établissement de la ligne de vapeur qui doit les conduire dans l’Inde.

Quant à la route du Cap de Bonne-Espérance, elle est un non-sens commercial et géographique ; elle ne peut être justifiée, dans le passé, que par les dispositions hostiles de l’Orient, et dans le présent, par les difficultés politiques qu’offrent le rétablissement et la pratique commune de la ligne de Suez.

L’appel doit venir de la France, car elle est la plus désintéressée dans le débat. La France doit proclamer hautement la nécessité politique et commerciale de la ligne de vapeur de l’Inde. Jalouse de ses possessions indiennes, l’Angleterre cherche à résoudre le problème, sans oser ostensiblement le poser. Mais, croyant travailler pour elle seule, l’Angleterre travaille pour tout le monde ; car une loi fatale veut aujourd’hui que, soit que l’on prenne pour point de départ la personnalité, soit que l’on puise ses inspirations dans le dévouement, on arrive toujours au progrès et à l’association. Ainsi nous de-