Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/264

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
258
REVUE DES DEUX MONDES.

et où un scandale de plus se perd si facilement dans la foule des scandales. C’est là, disons-nous, autre chose que de la fatuité et de l’impertinence, et quand, à certains momens de sa vie littéraire, des relations inévitables venaient ramener son esprit sur ces soins qui lui répugnaient, il prenait le moyen le plus court et le plus sûr pour s’y soustraire : il fuyait. Une telle répugnance lui suffisait sans doute pour justifier cette fuite brusque et singulière dans un moment où les auteurs n’ont pas pour habitude de chercher « le fond des bois et leur vaste silence. » Veut-on absolument qu’à cette raison nous en ajoutions une autre, l’amour du divin imprévu ?

Admettons d’abord qu’en cet amour comme dans le reste, M. Beyle a été un homme de précaution, et que, pour être singulier en tout, il s’est piqué, bien qu’il parlât avec esprit, de ne parler aussi qu’avec connaissance. Il se moque, en passant, de l’académicien qui avait découvert sur une inscription le roi Feretrius, et ce n’est pas lui qui eût fait de saint Augustin un Grec, ou qui eût jeté le Rhône dans la mer à Marseille. Ce genre de surprise et d’imprévu n’était point celui qu’il ménageait à ses lecteurs, et tout l’esprit du monde ne lui eût point paru justifier une si profonde sécurité dans une si magnifique ignorance. En pareil cas, il eût su du moins qu’il ne savait pas, et il se fût mis à apprendre, à étudier comme un simple pédant, quitte à reprendre, pour importer et mettre en œuvre ce lourd butin, la légèreté et les graces piquantes, les ailes et le dard d’une abeille. Voyez comment il s’y prend avant d’oser parler de ce qui fait le sujet unique de ses écrits. Il pose comme base de la connaissance de l’homme la physiologie : il veut connaître l’homme, il étudie donc la physiologie, qui possède déjà de son temps Bichat et Cabanis. Il s’attache surtout à Cabanis, qui asseoit justement la question sur le point où lui-même dirige ses recherches, les rapports du physique et du moral. Toutes les fois qu’il arrive sur ce terrain, c’est à Cabanis qu’il a recours, et il lui emprunte notamment la classification et la définition des tempéramens, qui occupe une place assez importante non-seulement dans la théorie du beau antique et du beau moderne placée en tête du second volume de l’Histoire de la Peinture en Italie, mais encore dans l’enchaînement général de ses idées. Indépendamment de la physiologie, il y a tout un ordre de phénomènes qui peuvent être examinés à part, et qui résultent du mécanisme de la pensée. La métaphysique, telle qu’elle est constituée, n’a pas grand crédit auprès de lui. Cependant il rencontre, dans cette branche encore, un homme dont la méthode lui paraît excellente,