Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
201
FERNAND.

d’abord d’effacer dans mon cœur l’impression douloureuse ; elle voulut que le bonheur de ces deux jeunes gens pâlît et s’éclipsât devant le nôtre. Elle m’entraîna dans la montagne, et, me forçant à m’égarer avec elle sous les pins et sous les mélèzes, elle me récita, avec de nouvelles variantes, toutes les litanies de son implacable tendresse. Mais à tout ce qu’elle put dire je restai taciturne et sombre. Sa colère grondait sourdement ; je me sentais moi-même au bout de ma patience. Voyant qu’elle ne réussissait même pas à me distraire, Arabelle, poussée par l’envie, arriva, par je ne sais quels perfides détours, à se railler du jeune couple qu’elle n’avait fait qu’entrevoir. Je m’indignai de l’entendre outrager l’image des félicités que j’avais répudiées pour elle : il me sembla qu’elle insultait Mlle de Mondeberre. Mon sang bouillonnait dans mes veines ; pourtant je retenais encore la tempête déchaînée dans mon sein. Que te dirai-je ? la tempête éclata, et ce fut entre ces deux amans une scène d’emportemens et de violence, telle qu’on eût dit deux ennemis près de se déchirer l’un l’autre.

Et tandis que nous échangions à voix étouffée tout ce que la haine peut aiguiser et empoisonner de paroles, tandis qu’Arabelle se meurtrissait le front, tandis que moi, sombre et rugissant, je labourais et j’ensanglantais ma poitrine, sereine et recueillie, la nature se reposait des fatigues du jour ; on n’entendait que le bruit lointain des cascades ; la lune radieuse planait sur la cime des monts, et je vis, à la clarté de ses rayons d’argent, Gustave et sa femme qui marchaient à pas lents, amoureusement inclinés l’un vers l’autre : la jeune épouse était suspendue au bras du jeune époux comme la vigne en fleurs aux branches de l’ormeau ; tous deux se regardaient en silence et semblaient écouter le langage muet de leurs ames.

IV.

Nous étions assis l’un près de l’autre sur un tertre, au bord d’un abîme. Le jour tombait ; le site était sauvage. De noirs sapins entremêlés de hêtres prodigieux se dressaient au-dessus de nos têtes. Des quartiers de roc qu’on eût dits entassés par la main des géans, étalaient çà et là leurs masses sans verdure. Autour de nous pas un être vivant, rien qui révélât la trace d’un pas humain : vraie Thébaïde qu’eût aimée Salvator. Nous y étions arrivés à travers mille dangers, de bois en bois et de roche en roche, poussés moins par la curiosité