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FERNAND.

puis la veille nous n’avions pas, je crois, échangé deux paroles), Arabelle s’était jetée sur un lit de repos, tandis que moi, debout auprès de la croisée ouverte, je m’occupais à regarder dans la cour de l’auberge deux femmes qui venaient de descendre d’une berline de voyage. L’une, à la fleur de l’âge, mais pâle et l’air souffrant, grande et mince comme un roseau, s’appuyait languissamment sur l’autre, plus âgée, qui, l’observant d’un œil inquiet, la soutenait avec amour. C’étaient sans doute une mère et sa fille. La jeune personne était si frêle et si débile, qu’elle me parut près de défaillir. À peine, en effet, eut-elle fait quelques pas, qu’elle fut obligée de s’asseoir sur un banc de pierre. Elle y demeura plusieurs minutes à reprendre ses sens. Sa mère, assise auprès d’elle, la tenait appuyée sur son sein. Je les contemplais avec une vague émotion, sans chercher à me rendre compte ni du charme que j’y trouvais ni de l’attendrissement que je sentais me gagner peu à peu, quand tout à coup, à cette même fenêtre où j’étais, je vis la tête d’Arabelle se pencher auprès de la mienne. Soit que l’expression de mon visage trahit en cet instant la préoccupation de mon cœur, soit que la passion ait le don de seconde vue, soit enfin qu’Arabelle ne cherchât qu’un prétexte à ses emportemens, toujours est-il qu’à son insu peut-être elle comprit mieux que moi-même ce qui se passait en moi.

Elle m’arracha brusquement de la croisée, et, m’entraînant dans le fond de la chambre : — Qu’aviez-vous donc, me demanda-t-elle, à regarder ainsi ces deux femmes ? Vous caressiez, à coup sûr, une espérance ou un souvenir. — À ces mots, qui frappaient plus juste qu’elle ne le croyait sans doute, je me troublai, puis je m’irritai de voir que j’avais été surpris et deviné. En général, nous n’avons de pitié pour la jalousie que lorsque rien ne l’excuse et ne la justifie ; nous pardonnons volontiers à son aveuglement, jamais à sa clairvoyance. Je répliquai avec un sentiment de colère mal contenu ; Arabelle en conclut naturellement qu’elle avait touché, sans le savoir, l’endroit sensible de mon être. Ainsi engagée, la querelle alla croissant. Ce ne fut long-temps qu’une escarmouche de traits plus ou moins acérés, de paroles plus ou moins amères ; bientôt ce devint de part et d’autre une vraie furie. Au plus fort de la mêlée, Arabelle s’oublia jusqu’à me reprocher les sacrifices qu’elle m’avait faits ; je m’en tins d’abord à lui rappeler brutalement que ces sacrifices, je ne les avais pas sollicités. Elle persista dans ses récriminations et m’accabla de mépris et d’outrages. — Prenez garde ! m’écriai-je à plusieurs reprises ; prenez garde, Arabelle, vous jouez avec la foudre !