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vers un divan qui occupait le fond de la chambre, le fit asseoir comme un enfant, et, s’agenouillant à ses pieds :

— Te souviens-tu, lui dit-elle, d’un temps où ton amour ombrageux et jaloux s’irritait de n’être pas pour moi la vie tout entière ? Sois heureux, je n’ai plus que toi. Ne t’effraie pas de ce que j’ai fait ; surtout ne m’en remercie pas. Ce que je quitte ne vaut pas un regret ; j’aurais quitté le ciel avec joie, si le ciel pouvait être où mon Fernand n’est pas. Que n’es-tu pauvre, malheureux et proscrit ! Je ne sais que ta fortune qui soit de trop dans mon bonheur. Mais parle-moi donc, mon Fernand ! dis-moi que tout ceci n’est point un rêve, car ce rêve enchanté, je l’ai fait si souvent, qu’à cette heure même, à tes pieds que j’embrasse, je me demande si ce n’est point une illusion près de m’échapper encore une fois.

— Non, non, ce n’est point un rêve ! s’écria, en se frappant le front, M. de Peveney, que ces derniers mots venaient de ramener violemment au sentiment de la réalité. Mais vous n’avez donc pas reçu ma dernière lettre ? ajouta-t-il en se levant.

— Voici deux jours, répondit Arabelle, que je suis sortie de ma maison pour n’y plus rentrer. De quelle lettre parles-tu ?

— Sortie de votre maison pour n’y plus rentrer ? Mais votre mari ? demanda M. de Peveney, qui se contenait à peine.

— Mon mari, mon amant, mon Dieu, c’est toi ! s’écria Mme de Rouèvres toujours agenouillée, en pressant contre son sein les genoux de Fernand.

L’espoir que tout n’était pas perdu rendit à M. de Peveney sa présence d’esprit. Il sentit qu’il avait besoin de tout son sang-froid pour examiner la situation, et voir s’il n’était pas possible de se tirer d’un si mauvais pas.

— Voyons, Arabelle, dit-il en la relevant d’assez mauvaise grace, cessons, je vous prie, ces enfantillages. Asseyez-vous là, près de moi, et répondez à mes questions. Avez-vous, avant de partir, instruit M. de Rouèvres de votre résolution ? Votre mari sait-il où vous êtes ?

M. de Rouèvres ne sait rien encore, répondit Arabelle, un peu troublée de l’attitude de son amant. Il me croit à sa villa d’Auteuil, où, dans huit jours, il doit me venir prendre pour me conduire aux eaux.

— La dernière lettre que je vous ai écrite, reprit le jeune homme, est depuis hier à votre hôtel. M. de Rouèvres a-t-il jamais violé votre correspondance ?