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FERNAND.

— Jamais, répondit Arabelle.

— Que deviennent les lettres qui, durant votre absence, arrivent à votre adresse ? Passent-elles sous les yeux de votre mari ?

— Jamais. D’ailleurs, en partant, j’ai donné des ordres pour qu’on les brûlât.

— C’est bien, dit M. de Peveney. Ainsi, ajouta-t-il, vous êtes partie depuis deux fois vingt-quatre heures, et vous êtes censée à Auteuil, attendant M. de Rouèvres, qui a promis d’aller vous y rejoindre au bout d’une semaine, à compter du jour de votre départ ? D’après ce calcul, nous avons devant nous cinq jours au moins de répit et de liberté.

— C’est plus qu’il n’en faut pour quitter la France ! s’écria avec joie Mme de Rouèvres, qui crut avoir enfin compris où tendaient les questions de Fernand. Sois tranquille, ajouta-t-elle, j’ai tout prévu, tout disposé pour notre fuite.

M. de Peveney ouvrit une fenêtre qui donnait sur la cour, et, apercevant son serviteur qui revenait de Mondeberre :

— André, cria-t-il, prends mon cheval, cours à Clisson et demande quatre chevaux de poste. Brûle la route, je t’attends dans une heure.

— Nous partons ! nous partons ! s’écria Mme de Rouèvres. Fernand, l’Italie nous appelle ; que de fois dans nos rêves nous l’avons visitée ensemble !…

M. de Peveney se prit à regarder cette femme avec un sentiment d’étonnement mêlé de compassion, sans songer que cette exaltation, qu’à cette heure il prenait en pitié, avait été long-temps son orgueil et ses délices les plus chers.

— Arabelle, s’écria-t-il enfin avec un ton d’autorité qui la fit tressaillir, vous avez eu tort de disposer de ma destinée sans m’avoir consulté. Il n’entre ni dans mes goûts ni dans mes principes d’accepter des sacrifices de la nature de ceux que vous m’offrez trop généreusement ; mon cœur n’est point assez riche pour les reconnaître, et je ne sens en moi ni la passion ni l’entraînement qui excusent et légitiment de si étranges entreprises. Vous l’avez dit, nous allons partir ; je vais vous reconduire à votre maison d’Auteuil. Rassurez-vous pourtant ; mon projet n’est pas de vous abandonner lâchement dans la position périlleuse où votre imprudence nous a jetés tous deux. Si je forfais à l’amour, je ne faudrai point à l’honneur. Je suis prêt à subir avec vous toutes les conséquences de votre égarement ; mais, auparavant, je vous dois et me dois à moi-même de tout tenter pour les prévenir.